C’est un roman puissant, qui crée des images mémorables, à la frontière du mythe – on reconnaît d’ailleurs des schémas mythiques bien connus. Gaudé développe une fiction africaine sans verser dans un exotisme de mauvais aloi.
Malgré cette réussite, j’ai été un peu décontenancé par la façon dont le roman hésite entre un cadre assez réaliste, mais ponctué d’invraisemblances, et des éléments merveilleux qui m’ont semblé souvent trop peu amenés et m’ont alors fait sortir de l’histoire (tout particulièrement la naissance prodigieuse dans le désert).
Je me demande également s’il n’y a pas un peu de facilité quand l’auteur cherche à créer du mystère et de la surprise en donnant si peu d’informations sur ses personnages, souvent mutiques, et sur le monde fictif qu’il crée, pourtant riche en codes et en traditions. Gaudé affirme avoir voulu une œuvre épique. Or Homère ou Tolkien ne faisaient pas mystère des pensées de leurs personnages et enrichissaient leurs histoires d’un nombre considérable de détails qui donnaient à leur univers une vraie profondeur. Gaudé, et ce n’est pas forcément un reproche, a choisi de construire son monde épique de façon bien plus économe, mais m’a semblé alors substituer parfois la surprise à l’iration. Les ages épiques ne m’ont pas vraiment convaincu. Ainsi, le combat extraordinaire entre les deux frères est bien moins réussi que des combats assez similaires chez l’Arioste et Le Tasse, ou le duel entre Olivier et Roland dans La Légende des siècles.
Enfin, je me suis interrogé sur ce que ce roman cherche à nous dire. Il y a bien sûr la dénonciation des mariages forcés, et la dialectique entre la vengeance et le pardon, mais j’ai trouvé un peu vain un autre thème majeur développé tout au long du roman, l’idée qu’il faut parler des morts, qu’en parler réconforte, et que la parole réunit les auditeurs dans une éphémère communauté. Cela n’a rien de renversant, et m’a semblé résumer l’impression générale que m’a faite Laurent Gaudé : celle d’un brillant conteur, mais qui aime s’entendre parler.