Crow-on-Sea, petite ville côtière du nord-est de l’Angleterre, est le théâtre d’un drame horrible : trois adolescentes ont brûlé vive leur amie dans une cabine de plage. Peu médiatisé pour cause de Brexit, l’affaire ressurgit quelques années plus tard lorsqu’un journaliste à scandale s’empare du sujet pour en écrire un livre. Il entreprend de rencontrer chaque protagoniste, témoin, ou connaissance de la victime pour faire la lumière sur ce qui s’est réellement é ce soir-là dans la tête des jeunes filles.
Si je vous dis que Pénitence est l’autopsie d’un fait divers, vous me direz sans doute qu’il s’agit d’un énième roman sur le sujet des faits divers… Or dans l’esprit d’un roman social, Eliza Clark va plus loin: elle dissèque avec minutie les mécanismes morbides d’une jeunesse à la dérive, née d’une société corrompue. Le résultat est sombre et réaliste : dans une petite ville où tout le monde se connaît, où les inégalités criantes régissent le quotidien, les jeunes désoeuvrés, qui se connaissent pour la plupart depuis la maternelle, se bercent d’une haine savamment entretenue sur les réseaux sociaux: harcélement, jalousie, mensonges… Pas de futur, pas d’amour, pas d’ambition, le moment présent semble s’enliser ad vitam eternam dans des querelles dérisoires. Pour ces jeunes, le sens des réalités s’étiole dans les jeux vidéo et dans leur fascination sans borne pour les tueurs en série qui exacerbe leur violence. Celle-ci est nourrie par les podcasts de true crime dont ils se gorgent dans les médias. L’escalade est inexorable jusqu’à la soirée fatidique.
La construction particulière du roman met en évidence cet intérêt pour le true crime, celui du journaliste et le nôtre aussi… Les interviews et témoignages s’enchaînent, notamment ceux à tour de rôle des filles incriminées, qui ne manquent pas d’être contradictoires. Ce stratagème a pu parfois me sembler assez répétif et long, d’autant plus que certains ages (peu nombreux) retranscrivent des textos qui pour moi étaient quasiment incompréhensibles. Cependant, mon intérêt pour ce roman n’a cessé de croître jusqu’aux révélations finales: les semaines qui ont précédé la catastrophe, relatées en détail par les protagonistes, permettent de comprendre à quel point la limite entre victime et bourreau est parfois ténue. Il est effroyable également de voir comment un crime médiatisé devient une opportunité économique pour une petite ville. J’ai cherché si la ville de Crow-on-Sea existait réellement avant de comprendre qu’elle n’est que fictive, mais la quantité d’informations fournies tant sur les lieux que sur l’affaire elle-même pourrait laisser croire que tout ceci est bien réel. En dépit de ses longueurs, Pénitence est un roman pertinent. Je remercie les Editions Fayard, via Netgalley pour cette lecture.