Parlez-moi d'amour
7.8
Parlez-moi d'amour

livre de Raymond Carver (1981)

Parlez-moi d'amour par MarianneL

«Ce matin-là, elle me verse du Teacher’s sur le ventre et se met à le lécher. L’après-midi, elle essaie de se jeter par la fenêtre.
Je lui dis : "Holly, ca ne peut plus durer, Il faut que ça s’arrête."
Nous sommes assis sur le canapé dans une des suites de l’étage.» (Gloriette)

Il suffit de quelques lignes et tout Carver est là, ici dans un motel quelconque géré par un couple, un lieu qui devient sordide avec l’infidélité, l’alcoolisme et leur déchirement.

Crise économique, abaissement, enfoncement, concavité, partie creuse, état mental pathologique caractérisé par de la lassitude, du découragement et de l’angoisse, il y a toutes les dépressions dans les nouvelles de Carver, dans le fond et dans la forme, ici éditée par les ciseaux de son éditeur, Gordon Lish.

Au-delà de "Gloriette", je retiens évidemment "Le Bain", immortalisé en 1993 par Robert Altman dans Short Cuts avec l’inoubliable pâtissier psychotique incarné par Lyle Lovett (personnage d’ailleurs beaucoup moins présent dans la nouvelle de Carver), "Et si vous dansiez ?", car l’essentiel est ici dans ce qui n’est pas dit, "Toutes les petites choses que j’ai pu voir", "Bingo", où la rancœur d’une soirée gâchée par le retard, la malchance au jeu, et par un couple de tricheurs qui gagne, vient s’agglomérer au désarroi causé par la maladie pour former une pelote d’angoisse inextricable, et enfin "Toute cette eau si près de la maison".

Dans ces nouvelles qui nous font rencontrer des personnages de la classe moyenne américaine toujours en risque de tomber du mauvais côté de la barrière, le génie de Carver (et de son éditeur) est de rendre en quelques mots - ou absences de mots - les non-dits qui remplissent tout l’espace, et l’incapacité à communiquer quand la situation dérape.

«J’étais au lit quand j’ai entendu le bruit de la grille. J’ai tendu l’oreille. Il n’y a pas eu d’autre bruit. Mais la grille, j’étais sûre de l’avoir entendue. J’ai essayé de réveiller Cliff. Il était saoul. Alors, je me suis levée et j’ai été à la fenêtre. Une grande lune dominait les montagnes qui entourent la ville. Une lune blanche, couverte de cicatrices. N’importe quel imbécile aurait pu y voir un visage.» (Toutes les petites choses que j’ai pu voir)
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le 1 nov. 2012

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MarianneL

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