Je ne compte plus le nombre de critiques commençant par "Je suis déçu de ce livre que les critiques adulent, je ne comprends pas pourquoi j'ai lu cette merde.... etc". Ce livre divise beaucoup et renferme quelque chose de puissant, je vais tenter de lui rendre hommage à ma façon.
Pour commencer, le lecteur doit se départir de ses biais idéologiques et de ses "red flags", sinon il va juste détester ce qu'il lit. Le principe du livre, c'est de ne pas juger l'histoire, c'est de la vivre au rythme de Turtle. Je ne suis habituellement pas fan du "stream of consciousness", mais quelle aventure de vivre au même rythme que cette fille, quelle épreuve. C'est de la matière brute à peine taillée à coups de couteau, c'est la vie de Turtle, tout simplement.
On s'en fout qu'un lecteur choqué par le personnage de Martin s'insurge en pensant que c'est "problématique", croit-il que Turtle a le temps de se poser ces questions? Qu'elle e son temps sur Twitter?
Pour moi, la véritable expérience, c'est d'accepter de devenir Turtle. Certes, elle est impénétrable, distante, sous sa carapace, mais l'auteur nous fait le précieux cadeau de l'accès à sa conscience. Et ça, c'est inestimable. C'est sans doute le désir le plus profond de son père, qui regrette à de nombreuses reprises de ne pas avoir une totale emprise sur elle. Plusieurs fois on lit des pensées de Turtle qui sonnent comme des brimades de son père, on voit se jouer dans sa tête le conflit de sa vie. Et elle résiste. Elle se bat. Chaque seconde de sa vie, son esprit et son corps sont le théâtre d'une lutte sans merci entre l'amour et la haine.
Ce livre est une pure merveille, mais pour y avoir accès il faut se laisser emporter par le courant. Il faut être aussi fort que Turtle, ne pas l'abandonner. Je choisis soigneusement mes mots: il ne faut pas abandonner cette jeune fille qui réalise à 14 ans à peine une prouesse d'une noblesse sans pareil.
La vie est trop courte pour avoir peur de vivre pleinement ce qu'on lit.