Moravagine
7.8
Moravagine

livre de Blaise Cendrars (1926)

Moravagine par Venantius

Cendrars le moderniste, l'auteur des Poèmes du Transsibérien, tire comme romancier un trait visible entre le XIXe et le XXe. Moravagine cultive une obsession pour l'étrange, le pathologique, l'« immense et raisonné dérèglement de tous les sens » ; il n'hésite pas à se saisir d'objets forts peu poétiques (à l'image, là encore, du Rimbaud qui définit les poteaux télégraphiques comme des “lyres aux chants de fer”) et à en chanter les bizarreries (“la santé, reconnue bien public, n’est que le triste simulacre d’une maladie démodée, ridicule, immobile, quelque chose de solennellement vieillot qui se tient vaguement debout entre les bras de ses irateurs, et qui leur sourit de ses fausses dents”).


Cette fascination pour l'étrange peut donner à Moravagine, dans ses premières pages, d'un air de foire aux horreurs qui peut laisser — qui m'a laissé — un peu sceptique. Mais le style de Cendrars, nerveux comme un cheval dans son box, s'épanouit ensuite lorsque les personnages prennent le large et “bourlinguent”. La structure épisodique (les comparses vont ici, puis là, puis là-bas…) fait figure de facilité, en cela qu'on a l'impression que l'auteur aurait in fine pu l'allonger autant que nécessaire pour boucler son livre. Mais l'ensemble reste soulevé par quelques pages glorieuses qui rachètent sans difficultés de petites faiblesses de construction.


Citation pour la route : « Napoléon a peuplé Paris d'effigies. Pâle allégorie, le Louvre apparaît certains jours transparent et bleuté comme un immense billet de banque et, comme le papier monnaie qui ne correspond plus à rien quand le trésor de l'État est épuisé, le Louvre vidé de ses rois, la sans ses anciennes provinces, le citoyen français tiré en série sur les Déclarations des droits de l'homme comme les assignats sur la planche n'ont plus cours et ne valent rien. Inflation sentimentale. Si en 1912, le monde entier désirait encore de cette valeur, , c'est que chacun voulait posséder une vignette, un cliché, une petite femme, la grue, Paris, d'où faillite de la Troisième République qui crève de mettre continuellement au monde une Sarah Bernhardt, une Cécile Sorel, une Rirette Maitrejean et, plus tard, la mère Caillaux. Et pas un homme, pas un homme. »

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lu en 2015

Créée

le 16 août 2015

Critique lue 411 fois

1 j'aime

Venantius

Écrit par

Critique lue 411 fois

1

D'autres avis sur Moravagine

Moravagine
10

Critique de Moravagine par Babalou

Si je devais écrire un jour, je voudrais que mon style s'approche (si tant est que ça soit possible) de celui de Cendrars. Quelle révélation ! Quelle écriture dense, fouillée et quel sens du rythme ...

Par

le 1 sept. 2010

8 j'aime

Critique de Moravagine par Ymax

Il y a quelque chose de doucement candide à Moravagine. Une qualité décidément étrange quand on pense à son personnage éponyme, roue libre de destruction, de cynisme et de cruauté. Et pourtant, c´est...

Par

le 20 août 2015

5 j'aime

Critique de Moravagine par BibliOrnitho

Un bouquin que j'ai apprécié. Je suis entré aisément dedans (hormis le petit laïus indigeste sur la psychanalyse ou je ne sais quoi au tout début), mais j'avoue avoir eu un petit coup de mou au tout...

le 25 juin 2012

5 j'aime

Du même critique

Critique de La Loi du sang par Venantius

La Loi du sang propose une synthèse de la vision du monde nazie, comme le résume curieusement son sous-titre, “Penser et agir en nazi” (on se sent obligé, lisant le livre en public, de préciser à ses...

Par

le 19 janv. 2019

10 j'aime

7

L'Albatros

François-René de Chateaubriand avait les défauts de son époque : une vanité peu croyable, qui dispose aux grandes entreprises mais prête aussi à rire, notamment lorsqu’elle s’abrite quelques instants...

Par

le 9 déc. 2019

10 j'aime

3

Diadorim
10

Marcel Proust rencontre Sergio Leone

Diadorim est l'unique roman de l'auteur brésilien João Guimarães Rosa. Son titre portugais, Grande Sertão: Veredas, a la caractéristique de contenir deux mots intraduisibles sur trois — le sertão,...

Par

le 18 févr. 2018

10 j'aime

4