Roger Caillois a réussi un exploit: publié pour la première fois en 1958, son ouvrage reste encore aujourd'hui la référence incontournable pour quiconque veut faire un peu de philosophie ou de sociologie sur les jeux.
Il faut dire qu'il y a de quoi: partant des deux grands courants d'opinion au sujet des jeux sur son époque- à savoir les jeux ne sont que des pratiques sociales ou collectives abandonnées aux seuls enfants car au fond non performante ou à l'inverse les jeux sont à l'origine culturelle de toute la société, Roger Caillois s'attache à essayer de classer et définir les jeux, en refusant la logique du catalogue ou une définition trop restrictive et retient quatre grandes familles de jeux:
- l'agon, qui est le type de jeu où les règles sont les mêmes pour tous et où les talents s'affrontent dans une logique compétitive : cela concerne le sport, mais aussi les échecs, les dames...
- l'aléa qui est la catégorie du jeu où les règles sont identiques aussi mais où le joueur s'en remet à la chance (loterie, dés)
- la mimicry qui est la catégorie des jeux ou le joueur se projette comme autre (le théâtre ou le carnaval par exemple)
- l'ilinx qui est la catégorie de jeux visant à procurer la sensation du vertige, de l'ivresse.
Sur cette base Roger Caillois identifie les jeux qui peuvent ou non interagir ensemble et leurs effets bénéfiques ou pervers qui peuvent résulter de leur pratique, ou de la dégradation de la règle du jeu (une compétition sans règle, un hasard truqué...). Il élabore aussi une approche "sociologique" des jeux en estimant que les sociétés les moins développées se caracteriseraient par une forte présence de l'ilinx et de la mimicry, en prenant exemple sur le chamanisme, puis qu'après le discredit progressif de ces deux formes de jeux, l'aléa et surtout l'agon (auquel l'aléa servirait de soupape) caracteriseraient les sociétés organisées et structurées.
Bref, c'est dense, c'est original et cela permet de voir les jeux comme vous ne les auriez pas soupçonné d'être donc lecture plutôt recommandée, même si la grille de lecture socio-historique finale proposée mériterait sans doute qu'un auteur prenne le relais de cette exploration intellectuelle que Caillois avait tenté, mais avec des références et des cadres conceptuels réactualisés.