"Je suis bien malheureuse !". Une phrase qui résonne encore dans la tête de ceux qui ont lu "Les Liaisons Dangereuses" de Laclos, un autre roman qui traite du libertinage : elle y est en effet répétée un bon nombre de fois. Cette phrase siérait également à merveille à l'héroïne des "Infortunes de la Vertu", qui cumule une incroyable série de déboires à la fois sadiques et immoraux. Persécutée, bafouée dans ses principes vertueux, déflorée plus que de raison, frôlant la mort à maintes reprises, la Sophie de Sade a été, en ce qui me concerne, une héroïne antipathique, comme le sont malgré eux, et c'est ça le plus injuste, tous les malchanceux. Soyons clair, le sort de cette masochiste qui s'ignore ne m'a pas toujours ému, pour la simple et bonne raison que sa rigueur est si excessive, sa naïveté si désespérante, qu'on en arrive à se dire qu'elle mérite parfois ses sanctions.
Ceci étant, "Les Infortunes de la Vertu" est un roman pourtant bien écrit, intéressant, provocant comme c'est pas permis, surtout pour l'époque (la religion et ses principes qui en prennent vraiment pour leur grade, la débauche sexuelle...), et dont le fond est aussi intéressant que la forme. L'épilogue est d'un cynisme jouissif. Chaque cas auquel Justine / Sophie est confrontée est l'occasion pour l'auteur de développer un peu plus sa philosophie athée, immorale et libertaire, qui, mine de rien, fait réfléchir sur cette opposition antédiluvienne entre le bien et le mal, et sur ce qui nous retient de basculer d'un côté ou de l'autre.