Les dieux ont soif
7.1
Les dieux ont soif

livre de Anatole (1912)

Les dieux ont soif par HENRI MESQUIDA

De nos jours, le grand Anatole subit une sorte de long purgatoire dont on se demande tout de même s'il ne se prolonge pas outre mesure.
Homme de lettres distingué riche d'une culture humaniste, incarnait à merveille, ainsi que Voltaire, cet esprit français fait de pénétration et de mesure où se manifeste une partie du génie national.
Aussi peut-on selon moi partager sans la moindre réserve l'enthousiasme de Paul Guth au sujet du livre "Les dieux ont soif".
Gagné aux idéaux de la Révolution, Evariste Gamelin, son héraut, va franchir peu à peu, de compromis en compromission et au nom d'une idéologie toute robespierriste, la frontière qui sépare le juste de l'ignoble, le bon de l'exécrable, le légitime du totalitaire. La force du roman réside dans le fait que le jeune homme pourrait aisément ressembler à chacun d'entre nous, qu'il est capable d'inspirer une vraie sympathie au lecteur, que ses motivations initiales n'ont rien d'inquiétant ou de répréhensible.
Or pris dans un engrenage effrayant, Evariste ne manquera pas d'évoquer le roi aztèque Moctezuma réclamant jour après jour de nouveaux sacrifices pour étancher sa soif inextinguible. La Révolution, devenue Terreur, vampirise bientôt ceux qui la servent et broie ceux qui s'écartent de ses dogmes.
L'histoire narrée magnifiquement par Anatole progresse comme une course vers l'échafaud. Aussi précise qu'un mécanisme d'horlogerie, la trame romanesque suit les méandres d'un drame inévitable. A force d'être "pur", on finit par mépriser le genre humain, et la guillotine elle-même fait figure d'instrument de rédemption.
Dans ce livre inoubliable où les meilleurs sentiments se transforment en actes de barbarie, Anatole brosse un tableau saisissant de la période révolutionnaire sans jamais tomber dans l'enflure et dans le pathos.
Prodigieux styliste, il fait avancer le récit de main de maître en donnant à voir de chapitre en chapitre les progrès délétères d'une "raison" ô combien déraisonnable.
On sort d'un tel roman atterré, furieux, abasourdi.
A vouloir faire le bien des hommes malgré eux, on est forcément conduit à faire leur malheur.
nous l'enseigne ici de manière magistrale !

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le 5 janv. 2019

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HENRI MESQUIDA

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