« Un goût de cuivre ou de sang »

Les Contes du whisky sont un curieux croisement entre le fantastique fin-XIXe à la française et quelque chose comme du Lovecraft. D’un Mauant ou d’un Lorrain, Jean Ray garde les motifs primordiaux, depuis les eaux délétères jusqu’à la main coupée en ant par les apparitions terrifiantes. De Lovecraft, une fascination pour ce que l’inconcevable a d’inexprimable, une aversion pour tout ce qui incarne l’autre – l’antisémitisme de Jean Ray ressemble beaucoup au racisme de Lovecraft –, et des tentacules. On peut même penser à Pierre Mac Orlan, pour son goût des ambiances portuaires, du « voisinage des docks », de « la grande chanson des départs que le triple appel des sirènes affolées lance dans l’air marin » (p. 21 de la réédition d’Alma), ou à Ghelderode, que je lui préfère tout de même, parce que le macabre y est plus fin. (Ray serait à Ghelderode ce que la danse macabre de la Chaise-Dieu est au transi de René de Chalon.)
Peut-être suffirait-il de quelques phrases pour situer les Contes du whisky dans la grande constellation de la littérature dite fantastique : « Dans l’encadrement sombre de la fenêtre, une figure d’épouvante venait de paraître. / Une tête quasi humaine, une affreuse tête de vieillard tricentenaire d’une blancheur de neige, aux immenses yeux nyctalopes de flamme verte qui clignotaient à la lueur du foyer. / La bouche s’ouvrait en un formidable rire muet sur de terribles dents noires. » (p. 137), « Aux sept couleurs essentielles du spectre solaire elle [une femme] avait ajouté une huitième et c’était à en mourir de rire ou de terreur. » (p. 216), « il fait noir comme dans l’âme d’un juif… » (p. 110).
Si le whisky fournit le fil rouge du recueil, le travail sur la langue se résume généralement à deux idées : faire aussi simple que possible, pour un maximum d’efficacité. Aussi chaque histoire semble-t-elle écrite au fil de la plume, et une ligne de dialogue telle que « Gilchrist, s’écria le capitaine, vous êtes une créature immonde. » (p. 20) n’est pas ce qui met le mieux en valeur le recueil… Du coup, assez logiquement c’est quand le texte se détourne de cette recette, le temps de quelques lignes ou pour tout un récit, qu’il devient intéressant. « Le nom du bateau », par exemple, se clôt par une fissure lyrique d’une page (« – Taisez-vous, dit Hildesheim, ce bateau s’appellera Loute. », etc., p. 138-139), qui dévoile peut-être ce que sont les véritables enjeux de la littérature fantastique.
P.S. : C’est une bonne idée des éditions Alma de rééditer Jean Ray, c’en eût été une meilleure de ne pas y inclure de coquilles.

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le 14 janv. 2017

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Alcofribas

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