Expéditif et philosphique
Le problème de ce roman est le suivant : de façon volontaire et assumée, il abandonne peu à peu l'intrigue pour se consacrer à des questionnements philosophiques. Au risque de décevoir le lecteur qui ne demandait qu'à voir développés les personnages et les bonnes idées qui l'avaient appâté au départ. Je dirais qu'à partir de la moitié de ce roman assez court, le discours commence à s'embrouiller : la narration perd en précision et réalisme, l'action devient approximative et expéditive, et le roman s'efface au profit d'un charabia qui semble pressé de mettre un point final à la chose. Comme si l'auteur avait tout à coup réalisé qu'il préférait écrire autre chose et qu'il s'était dépêché de tuer les trois-quarts de ses personnages avant de balancer sa conclusion sur le genre humain. Certainement que pour Philip K. Dick, l'objectif de ce récit était la philosophie, et non le roman. J'ai juste trouvé ça dommage, même si je respecte cette prise de position (après tout, c'est son livre). J'ai lu dans la postface qu'on avait demandé à Dick d'écrire une novélisation de Blade Runner, à condition que celle-ci remplace le livre original (jugé moyen), ce qu'il a refusé.
Concernant l'écriture elle-même, elle n'a rien d'exceptionnel (je ne crois pas que Dick soit apprécié pour son style, de toute façon). Les scènes s'enchaînent très vite, ce qui n'est pas un mal en soi, même si à mon sens elles manquent de réalisme : les évènements ne sont jamais perturbés par l'intervention d'un tiers, ou par un élément inattendu, même si là encore on peut y voir une volonté de l'auteur de dépeindre une humanité devenue indifférente à son environnement - pour ma part, je l'ai ressenti comme un désir de ne pas laisser perturber la course vers la conclusion. J'ai également trouvé que les androïdes, censés détenir une intelligence supérieure, n'étaient en fait pas si intelligents que ça.
Tout de même, il faut reconnaître pléthore de points positifs à ce roman : l'originalité de l'univers (la vision pessimiste de la colonisation d'exoplanètes, qui est un échec), les thèmes abordés (empathie, vénération des animaux et cruauté envers eux, condition humaine, condition androïde, désastre écologique... pour un livre écrit dans les années 60 !), le personnage de Rachael/Pris et le mystère qui l'entoure, la relation de couple Rick/Iran, les machines avec lesquelles ils vivent au quotidien. Tout cela, au final, fait à mon sens des Moutons Electriques un classique plutôt incontournable. Et si je devais résumer en une phrase l'idée que j'ai retenu de ma lecture, ce serait : "ce qui importe le plus, ce n'est pas tant la façon dont nous traitons les animaux et/ou les androïdes, mais l'image que ça nous renvoie de nous-mêmes."