- Don Alvaro Dabo, le maître de l'Ordre de Saint-Jacques, vit reclus dans l'austérité de sa demeure d'Avila, en Castille. Contempteur des prémices du déclin ibérique, mystique intransigeant, il se complaît dans la pauvreté et la haine de ses contemporains. Mais sa fille, Mariana, est amoureuse du fils de l'un des chevaliers de l'ordre, dont le père tente de persuader Alvaro de se rendre au Nouveau-Monde afin d'y faire fortune... mais le Maître de Santiago n'y voit là qu'une expression de plus de la cupidité sans bornes de ses compatriotes.
Avec cette pièce en trois actes, Henry de Montherlant délaisse la frivolité et le cynisme sa série des Jeunes filles pour plonger le lecteur dans l'Espagne de Charles Quint, en crise métaphysique et identitaire au lendemain des grandes découvertes. L'occasion pour le dramaturge de faire naître un dialogue fascinant entre le matérialisme et l'ascétisme, établissant un parallèle entre les contemporains qui "chaque jour dégénèrent" (selon la formule du roi Ferdinand agonisant), et celle de la gloire ée des croisades et de la reconquista. Force est de constater que l'académicien ne manque pas d'aphorismes mémorables pour signifier l'intransigeance morale d'Alvaro. Si la pièce n'est pas un chef d’œuvre de construction, elle donne lieu à des tensions morales intemporelles, ici formidablement mises en forme.
Dans une démarche à la fois historique et intimiste, Montherlant révèle la naissance d'un monde entièrement tourné vers le profit, qu'il soit financier, politique ou social, au détriment de l'honneur, du courage et de la charité. L'introspection donne ici naissance à des tirades chargées d'un humanisme fiévreux. Montherlant transcende alors son intrigue aux enjeux faiblards pour lui donner le caractère universel de l'angoisse eschatologique.