Il arrive parfois que la nostalgie s'empare du lecteur. Alors, il souhaite se replonger dans ces ouvrages qui l'ont, fut un temps, ionné. Le Cycle de Lyonesse restait imprimé dans ma mémoire comme un bon livre, décriant fort bien une épopée ionnante et singulière.En le relisant, j'ai réalisé ô combien mon souvenir était inexact, tant et tant Le Jardin de Suldrun recèle d'aventures au creux de l'Aventure.
Ouvrage multiple, Jack Vance revêt l'habit du conteur, et y réussit à merveille. A l'instar de "Cugel l'Astucieux" et "Cugel Saga", il décrit un monde merveilleux, où magiciens, sorcières et fées se cotoient. Mais il dépeint aussi un univers froid et tranchant, où les complots sont multiples et malicieux. Les intrigues se succèdent, et les styles pour les raconter aussi (les références au conte sont intéressantes à soulever, et notamment la symbolique des chiffres totalement assimilée par Vance).
D'abord relativement indépendantes, ces intrigues vont finir par se redre dans un final qui laisse le lecteur nerveux et impatient. L'ouvrage peut se lire seul, mais les plus curieux fonderont sans attendre sur la suite du cycle. Les personnages sont eux aussi multiples et dissemblables, et chaque lecteur sera invité, tour à tour, à les aimer ou les haïr. Pour les habitués de l'auteur, certains paradigmes vanciens ne manqueront pas de leur apparaitre: thématique du héro-vengeur, magiciens astucieux, périple initiatique et déchéance...
Ouvrage riche, il en ionnera plus d'un, mais sera parfois un peu trop pointilleux sur certaines dimensions. Le syndrôme de Tolkien pour les descriptions à rallonge, les glossaires en tout genre et cartes ne vous seront pas épargnés. C'est ce dernier point qui fait perdre, pour moi, deux points à l'ouvrage, le laissant cependant avec l'honorable note de 8/10. Car la précision, si elle est synonyme de réalisme, empêche les lecteurs les plus rêveurs et indépenants (et là c'est le moi qui parle) le loisir de laisser leur esprit vagabonder. Ainsi, ouvrage paradoxal, Vance titille l'imaginaire du lecteur à lui en faire perdre la tête tout en lui imposant des rigidités qui n'ont parfois pas lieu d'être. Deux mondes seront alors identifiés par le lecteur: celui des magiciens et du fantastique, iréel et flou, et celui des hommes et leurs royaume, précis et rigoureux.
Le Jardin de Suldrun, en mâlant poésie et intrigues royales, mérite assurémment le détour. Il a largemment sa place à côté de ma trilogie du Seigneur des Anneaux.