Jonas Karlsson est beau, suédois et connait du succès en tant qu'acteur de théâtre et de cinéma. Comme si cela ne suffisait pas, il écrit. Après La facture, La pièce est enfin traduit en français, 7 ans après sa parution en Suède. Un petit bijou concis rédigé dans un style minimaliste et diablement efficace. Une comédie aux accents tragiques ou bien l'inverse, une oeuvre où l'insolite le dispute au réalisme dans la description minutieuse de la vie de bureau. Le livre est narré par son personnage principal, Björn, qui débarque dans un open space de l'istration avec la ferme intention de progresser dans la hiérarchie. Méthodique jusqu'à la maniaquerie, il souffre d'un énorme complexe de supériorité qu'il exprime par un comportement antisocial et un mépris de ses collègues et de son chef. Frustré de ne pas voir ses compétences reconnues, il découvre un jour un bureau inoccupé où il vient se ressourcer et élaborer une stratégie de conquête. Sauf que pour tous les autres, cette pièce n'existe pas et est le fruit de son imagination. De roman fantaisiste et très drôle, le livre bascule rapidement dans un fantastique inquiétant entre Orwell et Kafka. La santé mentale de cet arriviste forcené est forcément sujet à caution mais il attire également une forme de sympathie tant ses efforts pathétiques pour se distinguer de la masse figurent la lutte contre une société où le conformisme est apprécié et la différence dénigrée. Parabole de l'absurde, La pièce est un livre aussi glaçant que le célèbre Cri de Munch, pour rester dans les références scandinaves, tout en étant délicieusement caustique et onirique. Un petit chef d'oeuvre au goût d'orange amère.