Dans ce roman très nettement dystopique, Bacigalupi met en scène deux factions qui s'affrontent dans une Thaïlande située dans un futur sans doute assez lointain, mais indéterminé. D'un côté, des nationaux-écolos, au ministère de l'Environnement, désireux de protéger le patrimoine génétique (qui n'est toutefois guère plus naturel) de leur pays et d'épargner leur pays des vagues d'épidémies qui ravagent la terre, mais rejetant également les réfugiés des pays proches touchés par la guerre et les créatures génétiquement modifiées. De l'autre, des libre-échangistes, au ministère du Commerce, qui souhaitent donc développer les échanges marchands avec notamment les multinationales de l'agro-alimentaire qui développent de manière frénétique de nouveaux OGM, capables de résister au susdites épidémies. Le tout dans un monde dans lequel les énergies fossiles ont été épuisées.
Dans ce Bangkok cauchemardesque, évoluent de nombreux personnages, tous fort bien campés et jamais ni simplistes, ni manichéens : Jaidee, le tigre du ministère de l'Environnement, Kanya, son adte, Anderson Lake, le représentant local d'AgriGen, Carlyle, un homme d'affaires américain, Hock Seng, vieux réfugié chinois qui a réchappé d'un génocide en Malaisie, quelques mafieux comme l'Enculeur de chiens ou Chan le rieur, Gibbons, généticien démiurge, les deux ministres et bien sur Emiko, la fille automate, produit de l'ingénierie génétique et d'une éducation stricte, qui ont fait d'elle une sorte geisha artificielle.
Si le scénario est rythmé et tient en haleine sur les quelques 640 pages du bouquin, "La fille automate" nous invite également à réflexion quant au monde que nous laisserons, disons à nos arrières petits-enfants. Car une bonne part du talent de son auteur est de savoir projeter - de façon très, trop vraisemblable - ce que nous vivons aujourd'hui pour imaginer la planète après-demain. Et ce n'est pas très beau à voir.
Une légère réserve - toute personnelle - pour terminer : la narration comporte de très nombreuses références à la culture nationale thaï ainsi qu'au bouddhisme. Je ne dispose malheureusement pas d'un background suffisant en la matière pour pouvoir pleinement les apprécier, ni pour porter un avis sur leur pertinence. Curieux, cette appétence des auteurs de SF pour l'Extrême-Orient : "Le goût de l'immortalité" de Catherine Dufour, que j'ai lu il y a quelques mois, présentait également cette caractéristique. Bon, cela ne retire rien aux qualités de ces deux ouvrages, mais sans doute cela empêche t-il d'en goûter toute la substantifique moelle.