Lire Bradley est une expérience en soi : on comprend les critiques que lui adressaient Vonda McIntyre et Suzy McKee Charnas et on se dit que, jusqu'à sa période 1978-1984, c'est hallucinant qu'elle ait pu er pour féministe de son temps.
La base de son écriture, c'est "est-ce qu'une féministe peut aimer un homme ?", "Est-ce qu'une féministe peut porter un objet lourd ?", "Est-ce qu'une femme libre n'est pas frustrée et plus malheureuse qu'une femme mariée ?". On aurait pu croire qu'elle a avait compris le backlash suscité par sa publication de "Darkover Landfall" (où elle critiquait le féminisme car, selon elle, dans un environnement colonial difficile, la nécessité des naissances justifie l'interdiction de l'avortement et le contrôle total des corps) mais non. La critique que lui adresse Charnas en marge de la WorldCon 1978 reste intégralement valide, elle a tenté l'écriture féministe et s'est dégonflée face à l'idée de romances entre femmes (elle est profondément imbue de lesbophobie). Ça ne sert à rien de la voir se cacher derrière ses personnages, il n'y a qu'à lire ses lettres agressives adressées (parfois en pair avec l'horrible Walter H. Breen) à McIntyre, Joanna Russ et aux éditrices de Janus pour comprendre qu'elle adhérait totalement à cette vision, qu'elle comprenait les féministes par "les tags qu'elle voyait dans les toilettes". Pire, à partir de son coming-out (une lettre de 1976 dans The Witch and the Chameleon), elle va revendiquer une légitimité féministe pour intervenir en convention ou soutenir la pétition de Harlan Ellison contre la tenue de la WorldCon en Arizona, État qui avait refusé de ratifier l'Equal Rights Amendment.
Mon hypothèse est qu'elle a toujours été conservatrice, plus même que des autrices comme Betty Ballantine et Leigh Bracket. Elle fait partie, aux côtés de Larry Niven et Jerry Pournelle, des auteurs qui ont préparé le terrain de la réaction dans la SF, contre les décennies de la New Wave et de la première SF féministe.