"L'Idiot" est considéré par beaucoup comme le meilleur roman de Dostoïevski pour la raison que l'auteur a voulu en faire le roman de "l'âme russe" par excellence, ce concept poétique cher au coeur des Slaves, condensé identitaire d'une psychologie complexe dans laquelle entrent à la fois en conflit et en communion réalité sociale, spiritualité, fierté, dignité et quête d'éternité, traditions, aspirations lyriques et bon sens paysan. Rentrant de mon troisième voyage en Russie "chez l'habitant", je peux affirmer qu'il existe bien une "âme russe" aussi palpable qu'indéfinissable, mais tout comme il existe une identité latine, une manière de penser anglo-saxonne, un spleen germanique, un pragmatisme scandinave, etc. Chaque nationalité, finalement, possède son propre caractère issu de son histoire et de son vécu politique, historique, économique, social et littéraire.
Mais revenons à "L'Idiot". Oeuvre colossale mettant en scène près d'une quarantaine de personnages (aux noms, prénoms, surnoms et patronymes pas toujours faciles à retenir, comme toujours en littérature russe classique), représentatifs de différents milieux sociaux. Dostoïevski a voulu représenter la grande variété des tempéraments masculins et féminins à travers cette vaste galerie colorée et complexe, à seules fins de déterminer un "type russe" et de (dé)montrer si la bonté peut gouverner les relations humaines, quelque que soit leur nature.
Le caractère du prince Léon Nicolaïévitch Mychkine, épileptique et, à mon avis, quelque peu autiste, se distingue par une bonté infinie qui confine à la naïveté, vertu outrageante pour la société pétersbourgeoise coutumière des convenances hypocrites de la bourgeoisie. Comment se fier à une bonté aussi démonstrative et sans fard ? Rien de moins naturelle que cette propension à la mansuétude et à l'affection gratuite. Et quand une telle disposition se double d'une intelligence fine, aux abris !, cela ne peut cacher que de sombres calculs et dissimuler de sombres arrière-pensées.
"L'Idiot" est sans conteste un tour de force littéraire. Donner à quarante personnages, tant hommes que femmes, des caractères bien distincts tout en réussissant à dérouler une narration romanesque et à émailler son récit de considérations philanthropiques ou analytiques ne peut que susciter une grande iration. D'autant que l'ensemble est cimenté par un style brillant, classique pour l'époque, savoureux pour nous, lecteurs du XXIème siècle dont le langage tant parlé qu'écrit est plutôt malmené.
Recommandée par mon libraire, la lecture de "L'Idiot" devait se révéler une suite fulgurante à ma ionnante lecture de "Crime et châtiment". Pourtant, mon verdict est sans appel : je préfère le second au premier. Malgré tout l'intérêt à porter à "L'Idiot", il m'a souvent paru fort long et confus et je n'ai jamais ressenti à sa lecture l'extraordinaire tension de "Crime et châtiment".