Pourra-t-on encore écrire des romans à propos de pandémies fictives, après celle que nous venons de connaître ? Ce sera difficile, car ça n'aura plus tout à fait l'air de fictions, mais en attendant rien ne nous empêche de lire les romans déjà écrits au sujet de pandémies fictives, et il en a beaucoup.
Ici, c'est un mal très troublant qui afflige les habitants d'une ville qui n'est jamais nommée mais qu'on devine dense, moderne et bruyante. Un homme arrêté à un feu rouge est a priori la première victime : il devient subitement aveugle. Un homme venu à son aide et qui le ramènera chez lui est contaminé à son tour, puis le médecin chez qui il se rend, ainsi que ses patients et sa femme. Cette cécité subite a ceci de particulier qu'elle ne recouvre pas la vue d'un voile noir, mais d'un voile blanc, laiteux. D'où le surnom bientôt donné à la maladie : le mal blanc...
Ces premiers patients seront bientôt regroupés dans un ancien asile transformé en camp de quarantaine pour le moins rudimentaire. Les malades sont confrontés à eux-mêmes, et ne reçoivent aucune aide de l'extérieur, hormis des caisses de nourriture qui sont déposés à l'entrée du camp trois fois par jour. Pas de soins, pas de guide, pas d'aide même en cas d'incendie.
L'écriture de Saramago, si particulière, est faite de très longues phrases, les dialogues s'enchaînent sans tirets, séparés par de simples virgules, l'auteur évidemment omniscient intervient souvent dans le récit, lui donnant des airs d'histoire racontée à l'oral, de mémoire, avec beaucoup d'imprécisions, comme si elle était déjà ée à travers plusieurs oreilles et plusieurs bouches... Les personnages n'ont pas de noms, ils sont cités par leur profession ou par l'une de leurs caractéristiques : le médecin, le premier aveugle, la jeune fille aux lunettes teintées. Et le tout est saupoudré d'une généreuse dose d'humour, un humour particulier mais nécessaire tant les personnages connaîtront une lente et douloureuse descente aux enfers. Avis aux âmes sensibles : certains ages sont très difficiles !
Que reste-t-il à tous ces personnages devenus aveugles, parqués comme des animaux, tentant de survivre dans une hygiène déplorable, à côté de certains de leurs pairs prêt à tout pour assouvir leurs besoins, tous leurs besoins ? Plus grand chose, peut-être, mais un peu d'humanité quand même, certainement.
Il faut lire l'Aveuglement, un roman captivant, oppressant, parfois un peu long et un peu âpre, mais aussi très beau et finalement plein d'espoir.