« Dieu est mort, vive Dieu ! » semble crier ce livre. Parce que le XXe siècle est une époque sans métaphysique, sans refuge, et que Dieu a déserté ses fonctions, un homme se propose de le remplacer : Monsieur Salomon, anciennement connu comme roi du pantalon à Sentier. Il fait don de son temps et de son argent pour venir au secours des « ci-devants », ces hommes et femmes que le monde a déjà plongé dans l’oubli avant même leur mort. Il réunit une petite équipe de volontaires pour leur venir en aide. À cette occasion, Jean, le narrateur, fait la rencontre de Cora, ancienne vedette de chansons réalistes désormais sexagénaire. Parce qu’il est humain (trop humain), il se sent investi d’une mission envers cette femme : l’aimer et l’honorer, par dévotion envers l’amour, "de manière générale". Il s’en suit une histoire d’amour rocambolesque et décalée, qui se cristallise autour du quatuor amoureux formé par Jean, Cora, Aline (la bien-aimée de Jean), et Salomon, dont on découvre qu’il fut épris de Cora et « sauvé » par elle lors de l’holocauste grâce au silence qu'elle a gardé sur le lieu de sa cachette. S’y découvre une autre facette du roi Salomon, rongé par la rancoeur.
Ce livre s'ouvre sur un incipit formidable, relatant la rencontre de Jean et de Salomon. Salomon y est présenté comme un grand prince à l'élégance rare, qui rayonne par sa bonté naturelle. Ce personnage providentiel semble tout droit sorti des cieux et augure du caractère fantastique (dans les deux sens du terme) du récit. Cependant, la suite ne tient pas les promesses annoncées par ce si bel incipit : l'histoire s'enlise, tourne en rond, et se termine aussi banalement et bancalement qu'elle avait commencé.
Littérairement, il y aurait quelques éléments à tirer et à analyser, à commencer par l'hypotexte religieux : le Dieu chrétien brille par son absence et voit sa figure tutélaire s'incarner en Monsieur Salomon, dont l'onomastique fait référence à Salomon roi d'Israël. Ce déplacement de sens, qui substitue "S.O.S. bénévoles" menée par un juif à l'amour chrétien du prochain, contribue à un décalage humoristique.
Il est amplifié davantage encore par le rapport de Jean aux mots. Tel le "Douanier Rousseau du vocabulaire, il "fouille les mots comme un douanier pour voir s'ils n'ont pas quelque chose de caché". Le mésemploi de certains mots par Jean est censé le rendre comique. J'ai cependant trouvé l'entreprise moins réussie que dans La Vie devant soi, où une congruence s’effectuait entre le jeune âge du narrateur et sa mécomprehension comique des mots et des choses.