Konbini est un court roman publié en 2016 par Sayaka Murata. Il met en scène Keiko, une femme atteinte par une sorte de trouble psychopathique non nommé, qui trouve son mécanisme de survie en s'aliénant volontairement dans un travail d'employée de supérette, toujours prise par une angoisse de fond d'être détectée par la « société » en tant que neuroatypique, ce qui conduirait à son élimination, concrète ou symbolique.
En dépit de sa brièveté, Konbini a l'ambition de chasser de front sur deux terrains qui, s'ils se rejoignent en partie, ont du mal à coexister harmonieusement dans la narration. Konbini est un roman de l'aliénation du travail capitaliste, qui saura faire la part belle à une approche assez sociologique et réaliste du cloisonnement de la société japonaise dans son rapport à la tâche, mais aussi un roman des laissés pour compte puisqu'il réfléchit la question du célibat, de ce qu'on appellerait aujourd'hui des incels, et concentre le tout dans une sorte de personnage d'hikikomori un peu inquiétant censé apporter le nœud au roman (très statique au demeurant, avec une fin en effaceur particulièrement ratée). Ces deux directions, assez logiques à confronter pourtant, ont du mal à avoir des effets l'une sur l'autre et le roman a quelque chose de dysfonctionnel dans sa structure qui ne bouge pas, sans être une pure description immobiliste et contemplative non plus pourtant. C'est davantage qu'il s'agite sur place, voire qu'il trépigne.
Le roman sait accrocher et fasciner lorsqu'il expose le caractère robotique d'un personnage malade de son incapacité à éprouver de l'empathie, qui doit survivre en s'appropriant des codes de communication artificiels à recycler constamment. L'horreur du lavage de cerveau produit par la mécanisation des procédures de travail fonctionne dans le livre, parce qu'on est forcés d'assister au spectacle stressant d'un être qui se l'impose à lui-même. Mais il se prend les pieds dans le tapis quand il peint, en face, la société en miroir qui répond par ses propres automatismes programmatiques condamnant les marginaux, et ces algorithmes ne sont pas rendus convaincants par l'autrice tant les personnages secondaires manquent de crédibilité, notamment dans leur transition de caractère.
On m'objectera bien sûr que la narratrice est douteuse et que la focalisation globalement interne du livre ne nous fait pas voir cette société et ces personnages (sœur, collègues, patrons, amis etc) tels qu'ils sont mais dans une fausse extériorité perçue par Keiko. Ok, mais ça n'en reste pas moins complètement artificiel dans son exposition dans la mesure où ces changements sont utilisés pour créer des articulations concrètes du récit.
Finalement, il y a pas mal d'immaturité artistique dans l'approche du sujet et sa manière de le conduire, ce qui mène in fine a un résultat plutôt moyen malgré un potentiel dans le sujet. Cela dit, on peut se demander dans une certaine mesure quel espace existe pour cette littérature tant les sujets de fond qu'elle aborde sont balisés. Le rapport au travail toxique des Japonais connaît plusieurs grands classiques, la littérature européenne du XIXe s'est largement penchée sur l'anomalie que constitue le célibataire improductif – le fameux Misfit of the family –. Konbini a pour lui son utilisation de discours absurdes dans la bouche d'une personnage qui se fond en panneau publicitaire vivant (mais ça aussi on l'a déjà vu), et ça m'a rappelé au second degré les milliers d'heures és sur les Yakuza. C'est un peu mince.