Je viens de finir le livre de Nicolas Demorand, ce coming out bipolaire qu'il a appelé Intérieur nuit (sans doute par référence implicite à Bernard Lavilliers).
Bon, c’est assez enlevé, et même si c’est très court, il relate l’essentiel : errance diagnostique, tâtonnement niveau traitements, besoin de faire équipe avec son psy face aux différents aspects de la maladie, aux différentes phases.
Le récit montre aussi comment l'acceptation progressive de la maladie fait partie du rétablissement.
Acceptation dont témoigne le fait qu'il s’exprime sans détour, même lorsqu'il relate des épisodes douloureux — sa description de la dépression bipolaire, cette invasion de l'être par sa future mort, sonne très juste —, ou des moments un peu honteux — une histoire d'amour conçue dans un épisode up, qui n'y survivra évidemment pas, des abus d'alcool, du pognon gaspillé...
Acceptation qui le conduit à témoigner, malgré qu'il en ait, sans trop s'embarrasser de scrupules : il s'attache, en journaliste, aux faits, rien que les faits.
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Demorand est extrêmement connu, en tant que présentateur de la tranche d'information la plus suivie de ; il bénéficie d'une incontestable aura de professionnalisme, d'une image de grande rigueur, bref, est une bête de travail à qui tout semble réussir. On se demande à le lire comment il parvient à accomplir de façon continue un travail très exigeant — en raison de ses horaires déjà, levé à 3 h 20 chaque jour... —, en dépit d'épisodes dépressifs caractérisés (EDC) qui ont vite fait de transformer en loque humaine ceux qui les subissent.
Respect.
Cependant je ne e pas qu’il se présente comme "malade mental". Alors on me dira, "santé mentale, grande cause nationale", ok. L'aveu qu'il a courageusement fait à l'antenne est d'autant plus lourd d'implications que les bipolaires sont facilement mis sur la touche dans le monde professionnel : il déclare s'exprimer au nom de ceux, nombreux mais pas du tout célèbres, qui subissent la même maladie.
Malheureusement, il le fait en des termes, "malade mental", extrêmement stigmatisants pour ceux dont il entend faire connaitre la lutte.
Les personnes bipolaires essaient simplement de vivre leur vie sans subir les ressacs de leur maladie. Et finissent bien trop souvent hélas, contrairement à lui, par être incapables de travailler, glissant peu à peu vers l'invalidité.
La bipolarité est également une maladie extrêmement dangereuse : les bipolaires meurent plus jeunes que la moyenne, addictions, suicides, etc., connaissant des taux de prévalence très importants.
Peut-être le livre de Demorand contribuera-t-il à lever certains tabous et préjugés qui sont toujours d'actualité, hélas, au sujet des troubles psychiques ; il bénéficie en tout cas d'un lancement tonitruant.
Mais en raison même de sa notoriété, il eût été souhaitable qu’il réalise — ou l’éditeur d’ailleurs — qu’il dessert la cause des personnes atteintes de troubles bipolaires en convoyant une vision arriérée des pathologies psychiatriques, réduite à des "maladies mentales". C'est bien plus compliqué.
Rappelons-le, nombreux sont ceux pour qui un bipolaire est simplement un "fou" ; ou qui emploient ce mot comme une insulte. Finalement, ce petit ouvrage peut être lu comme un tract, un manifeste qui, au-delà de la personnalité de son auteur, voudrait faire date.
Espérons qu'il remplisse son office.
(Pour des informations, des ressources, et de précieux groupes de parole, je mentionnerai pour finir le site de l'association Argos 2001.)