Lu, péniblement, il y a une dizaine d'années de cela. Souvenir vague d'un récit déprimant. Je n'étais pas encore assez mûr, pas assez "homme" pour en saisir l'intérêt. Le contraire d'un livre pour ado frénétique.
Puis vu le film éponyme, deux fois. Très bonne adaptation. Grise austérité nourrie par le réalisme de l'autobiographie, avec un excellent José Garcia, sorte de limace-binoclarde bavant sa frustration sur les femmes inaccessibles, et un Philippe Harel, double crédible de l'auteur, aux doigts jaunis de tabac, désabusé, lointain, froidement féroce, toujours focalisé sur la laideur, et les petites médiocrités de son milieu professionnel vraiment pas folichon, parmi les rituels aliénants du "consommateur".
Et cette année, alors que je me desséchais d'ennui, j'ai relu l'opuscule. Avec un plaisir froid mais continu. Jubilant sur l'oeil acéré de Houellebecq relevant les infirmités de ses contemporains.
Pour avoir si radicalement changé d'avis sur l'oeuvre, j'en viens à penser que l'empathie ne suffit pas. Il faut soi-même être habité d'un certain nihilisme houellebecquien, et d'une dose d'anticonformisme pour faire écho aux errances du narrateur. La vie est un poids quotidien, un jeu de rôles sans saveur, où les idéaux sont morts et enterrés. Et la mort elle-même n'offre aucune rédemption.
L'ensemble oscille entre journal de vie, étude sociologique et roman d'analyse. L'écriture est sèche, minimaliste, sans complaisance pour quiconque. Houellebecq lui-même est ce triste fantôme servile d'un Système abrutissant qui soumet toute notre vie aux lois du marché, et plus encore l'accès au sexe. La magie est de rendre intéressant une telle platitude existentielle grâce, paradoxalement, à une certaine ion du vide.
Alors que le lecteur soit prévenu : sitôt le livre refermé, il ne sera consolé de rien, et risque d''être encore plus englué dans sa mélancolie sur le morne fleuve de l'existence.
Réellement, une des rares expériences réussie de cryologie littéraire.