Les trois grands tragédiens de la Grèce antique ont chacun évoqué le mythe d'Électre dans des textes qui nous sont parvenus.
Dans les choéphores" est la partie de la trilogie consacrée à Electre et date de 460 BC environ. Un demi-siècle plus tard, Sophocle puis Euripide représenteront Électre dans deux tragédies éponymes.
Alors que Eschyle et Sophocle font deux pièces sur les mêmes bases mythiques, Euripide s'en éloignera sensiblement. Mais globalement, tous trois parlent du même mythe de la famille des Atrides.
Dont il faut commencer par recadrer la problématique en faisant très court et le plus simple possible.
Au départ, il y a deux frères jumeaux Thyeste et Atrée. Qui se haïssent au point que Atrée séduit la femme Érope de Thyeste. Ce dernier donnera à manger à Atrée les enfants illégitimes qu'il a eu avec Érope au cours d'un festin. Les enjeux politiques étant la domination de Mycènes et d'Argos.
Quand on sait que Agamemnon est un fils d'Atrée et que Egisthe est un fils de Thyeste, on se doute des haines vivaces transmises. Quand en plus, on apprend que Clytemnestre, femme d'Agamemnon parti pour la guerre de Troie, en profite pour s'acoquiner avec Egisthe, on devine que le retour d'Agamemnon, même vainqueur, va poser des problèmes.
La première phase sera l'assassinat d'Agamemnon par Clytemnestre et Egisthe. La deuxième phase sera la vengeance des enfants d'Agamemnon, Électre et Oreste. Cette deuxième phase est l'objet des "Choephores" et des deux "Électre".
Alors que "les choéphores" sont une épure du drame en restant sur une ligne politique du devoir et de la vengeance, l'Électre de Sophocle va tenter d'arrondir les angles.
Une autre façon de le dire est qu'Eschyle, sur l'ensemble de la trilogie, est dans une logique de construction de la loi sur le droit ou le devoir de vengeance qui se transmettent de génération en génération jusqu'au jugement final d'Athéna. Là, Sophocle, examine les cas d'Électre et de son frère Oreste pour comprendre les raisons antagonistes des uns et des autres.
Par exemple, on a droit à plusieurs confrontations essentielles. Celle de Clytemnestre et d'Électre, sa fille, qui expriment frontalement les raisons de leur haine absolue. En résumé, Clytemnestre n'a jamais is l'offrande aux dieux de leur fille Iphigénie. Tandis qu'Électre considère que son père n'a jamais eu le choix. L'autre confrontation importante est celle d'Électre et de Chrysothémis, sa sœur, dont le point de vue sur le meurtre de son père est plus nuancé. Le point d'orgue de la pièce sera le retour incognito d'Oreste, venu sur les conseils d'Apollon à Delphes, venger l'infamie. La plus belle scène de la pièce est la scène du désespoir infini d'Électre en apprenant la (fausse) mort d'Oreste puis de sa joie quand Oreste lui avoue la supercherie indispensable pour pénétrer dans le palais.
On le verra lorsque je ferai la critique de l'Électre d'Euripide mais ces trois tragédies sont vraiment des regards différents plus ou moins humains, plus ou moins compatissants, plus ou moins durs avec des dieux plus ou moins interventionnistes. Comme si on examinait le même personnage à travers une loupe qui s'attarde sur tel ou tel détail, parfois différent.
La tragédie de Sophocle est la plus démonstrative des trois, celle qui fait intervenir et interagir le plus grand nombre de personnages. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait eu une postérité plus importante.
Notons que c'est l'Électre de Sophocle qui est à la base de l'opéra de Richard Strauss (qui a la réputation de mettre à mal les voix des sopranos) et à la base de la pièce éponyme de Jean Giraudoux.