Je ne sais pas ce que peut produire comme effet, le fait de laisser soi-même retomber la poussière, avant d’écrire sur ce livre de Fante. Le fait est qu’au lieu de retomber, la poussière de Bunker Hill, l’hôtel où réside Arturo Bandini, le personnage principal du roman de Fante, à tendance à remonter. Je veux dire par là qu’il ne devient pas plus facile, après-coup, de clarifier ce qui s’est é en lisant Demande à la poussière, ni de comprendre pourquoi ce livre est prodigieux. Il devient même plus difficile d’en parler, car la langue, je veux dire, la langue de Fante, où plutôt celle d’Arturo Bandini, cette langue a poussée en nous jusqu’à se confondre avec le désert, avec Los Angeles, avec l’errance du personnage dans ces propres rêveries, ces mythologies personnelles, ces détestations, ces réussites miraculeuses et paradoxales. L’effet produit par cette langue-là est peut-être le meilleur indice de la force de l’écriture de Fante dans ce roman. Une écriture est forte, je crois, quand elle tord le monde mental du lecteur à son image, jusqu’à ce que les fantasmagories propres à cette langue, n’existant qu’en elles, s’implantent comme définitivement chez le lecteur et ne le quittent plus. Une écriture de la poussière ressemblerait peut-être à cela puisqu’elle serait, effectivement, une écriture qui couvre le lecteur d’une fine pellicule de matière, impossible à brosser, impossible à laver et qui le transforme, peut-être, en spectre de l’écriture elle-même. Je veux tenter de parler plus clairement. En lisant Demande à la poussière et en entrant, donc, dans cette langue si spéciale, si étrangère au jeu de postures que le style impose parfois, on en est couvert et notre corps s’en fait un habit : nous voyons à travers cette langue, nous sentons à travers cette langue, elle est notre séjour nouveau, tout le long de la lecture du livre, mais même après, comme seule les grandes écritures peuvent le faire. Elle nous hante, en somme. Ou bien, peut-être, nous la hantons nous-même, nous, lecteurs, comme si nous étions les spectres qui hantent invisiblement l’esprit de Bandini, cet auteur potentiel qui ne cesse de s’imaginer lu par quelqu’un et dont nous lisons la vie. Je veux dire enfin, et parce que c’est peut-être l’une des choses les plus belles de ce livre, c’est qu’en lisant Demande à la poussière, nous rions. Et même nous rions beaucoup. Je veux dire que nous rions à voix haute et cela est rare, je crois, qu’un livre convoque cette voix haute que nous réservons souvent à la vie ordinaire, à la vie réelle. Si Demande à la poussière convoque ce rire à voix haute, c’est qu’il s’agit bien d’une vie réelle, toute entière contenue dans sa fiction, comme une gangue de vérité brûlée d’où nous parvient l’écho d’un Bandini non-fictif qui nous fait rire et qui nous fait penser.