Ça aurait pu être pire, vu mon intérêt plus que limité pour les romans de terroir… Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai été cloué d’un bout à l’autre par ma lecture, mais au moins je ne me serai pas trop ennuyé (1). Cela dit, toute l’action du roman semble écrite d’avance : toute présomption mise à part, j’ai rarement lu de classiques aussi peu résistants (Qu’on me permette un petit plaisir de langue de pute : Giono n’était pas très résistant non plus…) En d’autres termes, Colline est plutôt pauvre : personnages taillés d’un bloc jusque dans leurs ambiguïtés (dans le cas de Janet), succession de saynètes dont l’issue ne présente guère de mystères, absence de complexité narrative. « À la ressemblance des hommes les maisons » (p. 27), écrit Giono : il faudrait ajouter à l’image des maisons et des hommes le récit. Au moins le texte dée-t-il à peine les cent pages, ce qui pour une intrigue aussi sèche est un atout.
Dans tout cela, il n’y a pas grand-chose à interpréter qui ne soit déjà presque explicitement dit au fil du texte : révolte d’une terre montrant qu’elle demeure sauvage, désarroi de personnages frustes et engourdis par la promiscuité, superstition qui rôde sous diverses formes – la part de mystère dans Colline est somme toute très réduite, qu’il s’agisse d’un personnage qui dit à un autre que « Le sang, ça vient de tout ce qu’on mange et la cervelle, c’est la crasse du sang » (p. 55) ou « C’était si simple, à l’ancienne façon : l’homme, et, tout autour, mais sous lui, les bêtes, les plantes ; ça marchait bien, comme ça. On tue un lièvre, on cueille un fruit ; une pêche, c’est du jus sucré dans la bouche, un lièvre, c’est un grand plat débordant de viande noire. Après, on s’essuie la bouche et on fume une pipe sur le seuil. / C’était simple, mais ça laissait beaucoup de choses dans la nuit. / Maintenant il va falloir vivre avec ce qui est désormais éclairé et c’est cruel ! » (p. 86) : le voilà, l’avertissement écologique pour redécouvreurs bas du front…
Dans un registre assez similaire à Colline, j’ai souvenir d’avoir lu la Grande Peur dans la montagne avec davantage d’inquiétude, car le roman de Ramuz était moins stable. Giono, lui, donne l’impression de plonger ses personnages dans un été brûlant à la façon d’un chimiste mélangeant une poudre à un liquide : l’écrivain et le scientifique – et donc le lecteur – n’ont plus qu’à attendre de voir ce qui va se er.
Quant au style, sa sécheresse est certes appropriée à celle des personnages. Surprend-il pour autant ? Apporte-t-il quelque chose de plus à un univers suffisamment lapidaire en soit ? Je ne crois pas. Il y a seulement, çà et là, au détour d’une description ou d’un excursus, une image coupante et sèche qui anime le récit : un air qui « brûle comme une haleine de malade » (p. 55), un ciel « comme une grande meule bleue qui aiguise la faux des cigales » (p. 56) ou une petite fille malade « maigre comme un jésus » (p. 77).
(1) Je ne me suis pas ennuyé non plus en lisant la préface et surtout le dossier de la collection « Livre de poche », mais c’était pour d’autres raisons : l’éditrice parvient à conjuguer la pauvreté d’expression d’une fiche de lecture de collège, l’aspect superficiel d’une dissertation de lycée rédigée à la va-vite et les délires interprétatifs d’une certaine critique universitaire. Et puis la couverture en vient à faire regretter celles des « Livre de poche » des années 1960, qui ont fini par peler et crépitent quand on les ouvre.