Dominique Forma nous emmène visiter 'ses' États-Unis : entre Los Angeles et Las Vegas, un virée déjantée (littéralement) dans les déserts perdus.
Dominique Forma n'est pas un inconnu : on lui doit, entre autres écrits, Albuquerque et Manaus.
Le bonhomme est né en région parisienne (en 1962) mais c'est un touche à tout qui est parti de bonne heure aux US pour faire dans la musique et dans le cinéma. Sa carrière littéraire viendra sur le tard.
Quand il décide de nous inviter à Bombay beach, Californie, il est donc chez lui ou presque.
Les courts récits de Dominique Forma sont souvent des histoires de personnages et de personnages en voyage, en dérive ou même en cavale.
Ce bouquin-ci coule de la même plume : voici l'histoire d'un couple en fuite. Un récit en plusieurs temps.
➔ Un prologue pour commencer, comme un pré-générique au cinéma, c'est dans le ton, on est en Amérique et l'auteur est du métier.
On y découvre Louis et Jane, deux riches et beaux entrepreneurs à Vancouver au Canada.
Pour gagner toujours plus de fric, ils se lancent dans le financement d'un chercheur et de sa trouvaille prometteuse : voilà l'occasion pour l'auteur de brocarder ce milieu très branché des startups où prospèrent incubateurs et spéculateurs.
Mais la super trouvaille part en sucette, Louis et Jane perdent leur mise, leur réputation et tout le reste. Ils doivent prendre la fuite : direction le sud. Fin du prologue.
« [...] Jane a préparé deux valises. Elle éteint l’électricité, coupe les arrivées d’eau, dépose quelques billets pour le loyer. Louis ne parvient pas à se décider :
– Aller où ?
– Fuir. Tu ne comprends pas ?
– Si…je comprends.
– Non, tu ne comprends rien. Fuir car il n’existe pas de solution plus raisonnable. »
➔ Première saison du bouquin : ils sont arrivés dans les déserts de Californie et Jane se dit que tant qu'à refaire sa vie, autant la refaire seule. Louis se retrouve donc planté tout seul au bord du lac de Salton Sea (une sorte de Mer d'Aral US).
N'en disons pas plus, mais la dérive de Louis en plein désert, à Bombay beach, avec quelques cabanes où se retrouvent quelques éclopés en dehors du monde, des 'misfits', au bord du lac trop salé et trop pollué, est sans doute le meilleur moment du bouquin, le plus dépaysant en tout cas.
« [...] On ne regarde pas la télévision à Bombay, on gère sa journée comme on l’entend, on consacre donc beaucoup de temps à ne rien faire, à réfléchir, à échafauder des théories, à contempler ses ongles de pied pousser et s’intéresser à ses voisins. C’est un comble pour une communauté de réfractaires à la vie en société , éparpillée sur un bout de désert pollué, que de se ionner pour les secrets des autres. »
➔ Deuxième saison du récit : on dit souvent qu'il faut suivre l'argent ou suivre la femme. Dominique Forma s'est dit que tant qu'à faire, on allait suivre les deux. Dix ans plus tard, on retrouve Louis et Jane entre Las Vegas et Los Angeles. L'argent toujours : tous deux fricotent chacun de son côté avec des gens peu recommandables. Casinos, immobilier, blanchiment, ... La rencontre des ex-amoureux ne va pas se faire autour d'un dîner aux chandelles.
Tout cela va forcément mal finir. En fait, on le sait depuis le début, depuis Vancouver.
Cette deuxième partie est peut-être moins prenante, en tout cas plus convenue.
➔ Ah, et puis j'allais oublier le final ! Je n'en dirais rien bien sûr mais sache, lecteur, que Dominique Forma t'a réservé une surprise et qu'il te faudrait être très très perspicace pour la voir venir (et ce ne fut pas mon cas) !
Et puis d'autres personnages, comme l'auteur sait si bien les dessiner. On n'en citera qu'un ou deux : comme Internet Joe, qui ne fait payer le café que si l'on se sert d'internet, « il a le geste lent, élégant, il fonctionne comme un minuscule reptile qui, pour vivre dans le désert, s’économise ».
Ou encore Bubble Bridgid, « la soixantaine amortie, le corps affaissé, les traits épais » mais qui « conserve toutefois la réputation d’une fille ayant chaud aux fesses. Elle aime raconter ses escapades sexuelles par le détail ».
Et puis bien sûr des patrons de casinos et d'hôtels, plus moins décrépits (les patrons et les hôtels), et même des voyous de la mafia arménienne ou de gangs blacks. Dominique Forma nous fait visiter son Amérique à lui.
On aime d'abord le style de Dominique Forma. Une prose sèche et nerveuse. Une prose qui prend un tout petit peu d’embonpoint au fil du temps, avec l'âge.
D'habitude ses romans sont presque des nouvelles, des formats très courts, façon 'novella'. Celui-ci est un peu plus long (à peine) car l'écrivain a voulu nous partager différents aspects de 'ses' États-Unis dans un récit composite.
On aime aussi les personnages de Dominique Forma. Des ni bons ni mauvais, des qui vont naviguer de trahison en galère. Ce sont aussi des témoins d'une époque et de ses événements : ce sera encore le cas encore ici.
Et puis on aime les histoires de Dominique Forma car c'est un sacré conteur. Sa prose est sèche, ses bouquins sont courts : il n'a pas de temps à perdre pour nous peindre en quelques lignes un personnage, une ambiance, un décor, et il le fait vite et bien, comme on le fait dans le cinéma.
Alors attention, une fois le départ donné à Vancouver, il va falloir suivre Louis et Jane à toute allure jusque dans les déserts du Nevada et de la Californie : prévoyez quelques heures sans lâcher le bouquin ni le volant, et une bouteille d'eau.
« [...] Piloter le buggy dans le noir absolu est la seule chance de semer le 4 × 4. C’est impossible, c’est suicidaire, aussi dangereux qu’à l’aube de ces matins d’antan lorsque Louis conduisait les yeux fermés durant neuf longues secondes. Le bolide sur pneus larges fend la nuit, sans repères, sans notion de ce que la piste présente comme dangers. »
Les lieux que nous fait visiter Dominique Forma sont de vrais endroits (enfin, si l'on peut dire).
Des coins perdus au fin fond du désert. Et les étasuniens ont même un nom pour ça : des 'census-designated place' (CDP), des lieux-dits comme on pouvait dire chez nous, qui ne sont rattachés à aucune municipalité, aucun comté.
Bombay Beach ou Sandy Valley sont des lieux bien réels mais qui ne sont identifiés que pour le recensement (census), sans aucune autre istration.
« [...] Une localité qui n’a ni noms de rues, ni numéros, ni taxes à verser à l’État, ni poste municipale, ni police, ni magasins, ni école, ni certificats de propriété foncière, un lieu qui n’a aucune existence légale.
[...] Sandy Valley existe sans exister, ce lieu n’est pas répertorié istrativement par l’État du Nevada. Il n’y ni maire, ni policier, ni pompier, ni distribution de courrier. Ici vivent ceux qui veulent oublier le monde. »
On est d'accord, il n'y a pas de meilleur endroit pour y loger une bonne histoire.