Au coeur du Colorado, un gamin fend la surface d'un manteau blanchâtre posé sur les quelques cabanes de la ville de Rocklin. Dans ses pas, au fond de ses traces, il laisse l'empreinte de souvenirs collés à ses semelles usées. Les flaques boueuses qu'il laisse sous ses souliers percés contiennent chacune l'ombre d'une cicatrice laissée en son âme par cet hiver scélérat.
Arturo Bandini traverse la neige comme il a traversé l'hiver. Seul, impétueusement, en rafale.
Nul ne le comprend, nul ne le suit. Pas sa mère, la bigote aimante et malheureuse, pas son père, le fier maçon ruiné et autoritaire, et encore moins ses petits frères August et Federico. Arturo aime sa mère mais la méprise. Il aime son père mais le craint.
Bandini vit dans une misère qui dégueule sur les murs de sa maison, serré dans un lit avec ses frères. Dans ce taudis, les cris pleuvent, les coups parfois aussi, entre deux scènes d'une enfance aussi unique que quelconque, d'un poêle qui ne répond qu'à Maria à des bains dans des baquets, du rosaire rythmant les journées de sa mère aux coups de sang rythmant celles de son père.
Bandini vit avec une entièreté effrayante. Libre et ambivalent, créateur et destructeur, il aime et désintègre. Façonné par son quotidien empli d'une vérité qui échappe à ses camarades plus aisés, il trimballe son air fier dans toute la ville, de l'école catholique à l'église. Lui, le fils d'immigré italien, le paumé misérable, donne des coups, vole par amour, écrase tout ce qui se présente à lui dans des mouvements d'humeur exaltés.
Pourtant, la culpabilité le ronge dès l'instant d'emportement é. Une culpabilité qui le ronge, l'habite jusqu'à ce qu'il trouve le pardon dans la confession. Loin d'être une grenouille de bénitier, Bandini se tourne pourtant vers sa foi pour garder un équilibre dans son existence. Une existence honnête et sincère, embrasée par la fougue et l'inconscience d'une âme insoumise.
Il fend la neige et écrase les quelques flocons qui recouvrent les chemins de terre. Sous chaque pas, une espèce d'éternuement mouillé de la terre le renvoie à cet hiver qui lui est tombé dessus.
Floc.
Rosa Pinelli, aimée et irée. Rosa Pinelli qui hante ses pensées et fuit sa réalité.
Floc.
Sa mère, perdue sur son rosaire, intimidée par l'épicier à qui elle n'ose demander un crédit.
Floc.
Son père, parti depuis des jours, aperçu avec une autre femme.
Floc.
Ses frères, l'école, l'église, les poulets, un chien, un manoir, une veuve, un italien logeant son père, du sang, une couronne mortuaire, des cendres.
Le tourbillon s'arrête enfin. La tempête est ée, le foyer au bord de l'implosion se recompose, couronné par quelques flocons étoilés tombés du ciel.
Arturo Bandini s'éloigne seul de ce cocon franchissant les dernières heures de l'hiver. Bringuebalé par les bourrasques, il s'étend, las, dans la neige.
Il attend le printemps.