Bakakaï
7.3
Bakakaï

livre de Witold Gombrowicz ()

Bakakaï par Venantius

Après Bruno Schulz et Stanislaw I. Witkiewicz, la découverte de ce recueil de nouvelles de Witold Gombrowicz convainc que les Polonais sont les maîtres de l’étrange. Ils ont, il est vrai, de la concurrence germanophone ; mais leur sens de l’absurde se distingue de celui de Walser et Kafka. Chez Gombrowicz, ainsi qu’on le découvre dans Bakakaï, les protagonistes de chaque nouvelle, campés à la première personne, ne sont pas jetés dans un monde incompréhensible, hostile, à la fois extérieur et indifférent à leurs actes et paroles.


Au contraire, l’étrangeté du monde et celle de l’homme se répondent, et débordent l’une sur l’autre. Dans la seconde nouvelle, peut-être la plus frappante du recueil, un juge arrive dans une famille pour régler une affaire privée, où il découvre la mort du père. Celui-ci, d’après tous les constats médicaux, a été terrassé par une crise cardiaque. Le juge est pourtant obsédé par l’idée que le père a été tué, ce que semblent révéler les comportements suspects des membres de la famille. La nouvelle donne ainsi à voir un meurtre implicite, qualifié non par un fait susceptible d’être saisi par les moyens classiques de l’enquête, mais par une intention subconsciente de meurtre. La vision du juge finit par contaminer la famille, la réalité et par créer le meurtre.


La nouvelle « Événements sur la goélette “Banbury” » explore le même type de rapports entre le monde extérieur et l’homme. Ici, le protagoniste, Monsieur Zantman, déclenche une véritable épidémie de désir sur un navire en donnant, sans raison apparente, un petit pourboire à un marin. Tenus jusque là par la main de fer du capitaine, qui les soumet à des travaux incessants et à des supplices baroques alors qu’ils sont encalminés dans le Pot-au-noir, les matelots s’émancipent dans un chaos orgiaque avant de filer vers les tropiques. On sort tanguant de cette fable psychanalytique, où le navire révèle le côté sombre de l’homme, à l’image d’une autre nouvelle célèbre, le « Benito Cereno » de Melville.


Du compréhensible — « Virginité » sur l’éducation des jeunes filles et le désir — à l’onirique — « Philibert doublé d’enfant », sur un match de tennis tournant à la folie orgiaque sous le coup d’une étrange manie mimétique — en ant par le loufoque — « Philidor doublé d’enfant », drôle de théâtralisation de la querelle médiévale des universels entre un analytique et un synthétique, Gombrowicz témoigne une maîtrise étonnante de tous les genres du bizarre.

8
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le 3 avr. 2020

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Venantius

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