Quasiment ma première incursion de l'année hors de mes genres de prédilection, à savoir le polar et la SF / fantastique. Et plutôt une réussite, pour un roman très profond que, je crois, on peut lire à plusieurs niveaux.
En premier lieu, celui de l'éclairage historique. Avant la révolution d'octobre, la Finlande n'est pas indépendante, mais un Grand-Duché de la Russie des Tsars. Avec la chute de ces derniers, les communistes finlandais prennent le pouvoir, mais en seront chassés par un corps expéditionnaire allemand, qui débarque à Helsinki en janvier 1918, alors que l'Allemagne est toujours en guerre avec les puissances occidentales. Il est d'ailleurs frappant de noter qu'une fois que celles-ci auront gagné la première guerre mondiale, elles prendront le relais de l'Allemagne dans la lutte contre les bolcheviks...Toujours est-il que s'en suit une répression féroce contre les communistes finlandais, répression qui constitue la toile de fond de l'intrigue d' "Un mirage finlandais".
Intrigue qui prend place sur toute la durée de l'année 1938, juste avant que la Finlande n'entre dans la seconde guerre mondiale...de façon curieuse. Au moment du pacte germano-soviétique, en décembre 1939, la Finlande sera attaquée par l'URSS. La envisagera alors d'envoyer un corps expéditionnaire au secours des finlandais...qui basculeront dans l'autre camp au printemps 1941 lorsque l'Allemagne nazie attaquera l'URSS. Ainsi, "Un mirage finlandais" décrit fort bien ce pays tiraillé entre les influences de ses puissants voisins allemands et russes, et qui gardera de cette première moitié de vingtième siècle un tel traumatisme qu'il adoptera durant la guerre froide une stricte neutralité, cela à un point tel qu'en est apparu le néologisme de finlandisation.
En second lieu, le roman propose une représentation symbolique des rapports entre les trois principales classes sociales, chacune y étant incarnée par l'un des trois personnages principaux. La grande bourgeoisie, arrogante, entrepreunariale et prédatrice par le "Capitaine" (dont l'identité exacte se dévoilera au fil du roman). La petite bourgeoisie, instruite et cultivée mais complexée, par l'avocat Thune. La classe laborieuse, enfin par la secrétaire Matilda Milja Wiik. Et l'on voit classe laborieuse et petite bourgeoisie se chercher tout au long du roman, s'apprécier, arriver par moment à dialoguer et à partager, mais toujours de manière ténue, fragile. Et parce que Thune est timoré, parce qu'il partage aussi des choses avec la grande bourgeoisie, parce que Wiik est traumatisée par ce qu'elle a subi du fait de cette grande bourgeoisie, parce qu'elle a une conscience aigue de son infériorité sociale, ces tentatives de rapprochement n'aboutissent jamais véritablement. Mais on perçoit très bien le potentiel que porterait leurs réussites.
Que j'y ai vu cette parabole sociale est - je l'ets - peut-être un biais de lecteur. Quoiqu'il en soit, je suis convaincu qu'elle tient parfaitement la route, du moins jusqu'à l'avant-dernier chapitre du livre.
Enfin, "Un mirage finlandais" excelle dans la restitution de cette ambiance pesante d'avant-guerre. Un extrait valant parfois mieux qu'un long discours :
"Aujourd'hui, on réclamait à nouveau la haine envers des ennemis réels ou imaginaires.
Aujourd'hui, on réclamait un amour inconditionnel dans une mère partie des plus mystérieuse, une terre nourricière féminisée; un amour aussi aveugle et insensé que celui éprouvé par la taupe envers ses galeries souterraines.
...
Que cela pouvait-il signifier, si ce n'était que les dépouilles de millions de jeunes hommes allaient une nouvelle fois être inhumées, dans cette terre jouxtant les champs de bataille, et si proche de la surface que les sépultures sentiraient le cadavre pour des décennies à venir. La question était uniquement de savoir quand et où le sacrifice commencerait."
Au fait, 1938 ou 2016 ?