Certaines études estiment qu'à la fin du siècle, plus de 80% des humains vivront en zone urbaine, créant d'immenses problématiques au niveau du logement, des transports, des infrastructures (eau, électricité, égouts, routes...), de la pollution, etc... La solution e-t-elle par la technologie ? Anthony Townsend nous livre dans Smart Cities une analyse multi-facettes de l'état actuel des "villes intelligentes."
La facette historique, d'abord. Les comparaisons avec les infrastructures du é sont particulièrement intéressantes : les expansions des réseaux téléphonique, énergétique, et Internet (oui, techno du é) nous apprennent énormément sur les dynamiques qui sous-tendent la propagation d'une technologie à l'échelle d'un territoire entier. C'est sans doute l'analyse la plus intéressante de l'oeuvre : comment les schémas classiques pourraient se répéter pour toutes les technologies du futur (fibre, beacons, voitures autonomes, applications citoyennes...), et ce que cela impliquerait de positif comme négatif.
La facette nostalgique ensuite. Townsend est un "urban hacker." Cela fait deux décennies qu'il traîne ses guêtres de hackathons en labos de recherche spécialisé en urbanisme. Il a participé à un collectif qui a été pionnier dans la fourniture de wi-fi public dans les parcs de New York. Il a observé de près pendant 10 ans des inventeurs de technos urbaines diverses et variées tenter de changer le monde, avec succès ou non (Foursquare, par exemple). Il raconte amoureusement toutes ces anecdotes dans Smart Cities, donnant une teinte personnelle à l'oeuvre. Cela ressemble parfois à une volonté de "prouver" qu'il a une grande légitimité pour aborder le sujet, mais une remise en question bienvenue pointe parfois le bout de son nez.
Suit la facette politique. Qui contrôlera la ville intelligente ? Les mega-corporations que sont IBM, Cisco, ou Siemens, impliquées car ayant la trésorerie pour mettre en place dans les grandes lignes les infrastructures (notamment le cloud computing) nécessaires au progrès techno urbain ? Ou bien les "hackers civiques", technologistes avisés regroupés en associations et ayant pour seuls clients leurs concitoyens, souhaitant limiter la vente de Big Data pour des intérêts économiques ? Townsend est un militant convaincu de la seconde option, et e une bonne partie du bouquin à l'asséner. Il est dommage que ses arguments soient plutôt à charge des méga-corporations que réellement pro-citoyens. Peu de visibilité est offerte sur les modes de gouvernance qui permettraient l'avènement d'une société urbaine impliquée et égalitaire. Mais peut-être est-ce parce que cette dernière semble être un voeu pieux ?
Enfin, la facette réglementaire et sécuritaire, qui est bien trop peu abordée. Dans une Smart City où tout fonctionne de manière interconnectée, quid de la résilience face à une catastrophe majeure, ou une guerre ? La protection des données personnelles ? Le hacking et les cyber-guerres entre états ? Ces points sont à peine abordés par Townsend, alors qu'ils sont sans doute bien plus importants que le choix de telle ou telle techno pour régler tel ou tel problème. Il faudra créer le cadre législatif, les bonnes pratiques, les processus de contrôle. Bref, tout ça e quasiment à l'as ici.
Smart Cities reste une lecture intéressante. Cela fait longtemps que je veux lire une oeuvre sur l'urbanisme, et celle-ci fait figure de premier pas globalement réussi (surtout parce que je bosse dans les nouvelles technos). Mais cela restera une porte d'entrée, agréable certes, mais relativement incomplète. Au moins, cela donne des pistes pour choisir les prochaines lectures.