Nicholas Cook « veu[t] dessiner une carte où apparaît toute la musique. Ou plutôt, puisqu’il s’agit d’une très brève introduction, […] déployer une carte sur laquelle pourrait, en principe, figurer chaque musique, si seulement l’espace disponible était suffisant » (p. 8). Autant dire que l’ouvrage est ambitieux. Autant ajouter qu’on y cherchera en vain une approche encyclopédique : ces quelque cent cinquante pages sont un plateau de jeu, le lecteur étant chargé de trouver les figurines ailleurs.
Musique, une brève introduction (1) parle moins de musique que de musicologie : « Le message principal de ce livre est que nous avons hérité du é une façon de penser la musique qui ne rend pas justice à la diversité des pratiques et des expériences que désigne aujourd’hui ce mot très bref, “musique” » (p. 23). D’où l’importance qu’y prend la figure de Beethoven, laquelle constitue la plus grosse partie de l’héritage, que Nicholas Cook s’attache à liquider.
Forcément, ça déconstruit à tout va : il s’agit de rappeler que « l’idée qu’une certaine musique est naturelle, tandis que le reste est artificiel, ne date pas d’hier » (p. 16), et qu’elle-même n’a rien de naturel. Mais d’une part, la déconstruction est claire, notamment parce que l’auteur vulgarise en s’appuyant sur une authentique érudition : je défie quiconque de ne rien apprendre en le lisant. D’autre part, par rapport à l’approche traditionnelle exclusivement occidentale (et beethovenienne) qu’il critique, il ne tombe pas dans l’excès inverse – en fait, le livre se place comme à mi-hauteur.
En relativisant les choses, il se situe du côté d’« une musicologie sincèrement “critique” » dont « le rôle […] est […] de démasquer l’idéologie implicite dans ce qui pourrait autrement n’apparaître que comme le fait d’exécuter de manière innocente et inoffensive un cycle de Schumann » (p. 130). Pour Nicholas Cook, en musique, la pratique l’emporte sur la transcendance, ce qui suppose de la part de l’auditeur (dont le musicologue n’est qu’une espèce) « un engagement qui reconnaisse que la musique est de ce monde et qui positionne en connaissance de cause l’interprète par rapport à elle » (p. 130-131).
Le principal défaut qu’on pourrait trouver à l’ouvrage, c’est qu’il ne permet pas au lecteur de résoudre les problèmes qu’il soulève. C’est très bien de rappeler que « la langue qui nous sert à parler de la musique dissimule un ruban de postulats étroitement liés les uns aux autres » (p. 26) et que, « ces postulats appartenant à notre langage, il n’est pas facile d’en parler ». (J’ai tendance à penser que cette difficulté ne se limite pas à la musique.) Très bien de rappeler que le fait de considérer la musique comme un objet n’est pas la seule approche. Très bien de rappeler que la musique occidentale écrite n’est pas toute la musique.
C’eût été encore mieux de montrer tout cela. C’eût été génial de proposer d’autres langages, de développer d’autres approches, d’ouvrir sur d’autres systèmes musicaux. Mais il est vrai que ce ne serait plus une brève introduction.
(1) Oui, l’adverbe très a disparu du titre dans la deuxième édition française.