Je suis un poète oublié.
J’ai connu mon heure de gloire à la fin du XIXe, temps béni où la lisait de la poésie et où un auteur pouvait vivre de sa plume.
J’ai chanté le Béarn et ma bonne ville d’Orthez.
Je trouvais mon inspiration dans le cycle touffu des saisons, les travaux des champs fauchés des grêles, le pas lourd et paisible du bœuf roux, le braiement de mon ami l’âne si doux, le chant ourlé du coq, la jeune fille filant au cou si blanc, le vieillard assis à la pipe de terre rouge.
J’y mêlais les réminiscences de mes lectures, Bernardin de Saint Pierre, Rousseau ou Chateaubriand et les souvenirs de mes parents et grands-parents créoles.
J’ai tôt abandonné l’alexandrin de rigueur, pour des vers plus libres.
Mon travail a pris un aspect plus mystique après ma conversion au catholicisme.
Ma seule œuvre encore chantée est attribuée à Georges Brassens.
Je suis un poète négligé.
Je suis Francis Jammes.
(Prononcez [ʒam]).
Les canards, balançant leurs pieds, allaient aux mares.
Les vignes bleues couraient sous les fenêtres noires,
et l’on entendait, dans l’école communale,
le murmure d’abeilles que font les alphabets,
lorsque les enfants doux chantent l’A, B, C, D
devant les beaux tableaux de sciences utiles.
(Une feuille morte tombe, 1897)
… Alors il plut. La pluie courait sur la montagne.
C’était la pluie qui fait rêver les villages,
la pluie au bruissaillement tendre et léger,
la pluie qui tinte, la pluie qui pleure du soleil,
la pluie qui arrose les clairs arcs-en-ciel,
la pluie qui fait courir et frissonner les poules.
Et nous fîmes attention à la boue…
(Avant que nous rentrions, 1897)