Le Grand Moufteur et le petit moustachu

Préambule et avertissements:

Avant toute chose, il me faut clarifier un point. Nous parlerons ici d'Histoire, bien sûr, mais également un peu de politique, puisqu'il en est aussi question dans l'Histoire et cet ouvrage. Si vous n'êtes pas capables d'échanger face à un point de vue différent du vôtre ou préférez signaler ceux qui parlent de politique sur SC au seul prétexte que certaines vérités vous tarabustent le bulbe, fuyez, pauvres fous, de grâce.

Je ne saurais me priver d'énoncer au besoin mon opinion sur un livre qui mêle Histoire et politique - quand la politique se mêle de tout, et quand bien même cela me serait interdit, comme dans la Pologne rouge de mon enfance... Car oui, le sujet est complexe et sensible. Et il n'est pas rare de voir les historiens eux-mêmes se déchirer sur certains sujets du conflit israélo-arabe selon le bord politique ou le sérieux de la personne.


Cela étant dit, décortiquons à présent ma note, calculée comme suit:

3 pour la méthode scientifique (nous y reviendrons)

9 pour la qualité de l'écriture, trame chronologique, etc

10 pour les détails et stratégies militaro-politiques

Ce qui donne 7,33, ou 7.5, donc toujours 7.


Critiques:

Commençons par les critiques, au nombre de deux, que j'ai pu trouver sur ce livre. Je ne présenterai qu'une de ces deux critiques, l'autre, émanant d'une historienne franco-arabe sous l'égide d'Henry Laurens, reprenant à son compte la critique de Dominique Trimbur, historien et chercheur associé au Centre de recherche français à Jérusalem.

La critique: https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_14_1_1191_t1_0201_0000_4

Deux reproches ressortent de cette critique: le manque de connaissance des auteurs sur le Moyen-Orient et l'unilatéralité des sources, donc le manque de sérieux scientifique.


Sources:

Comme le mentionne M. Trimbur, les sources de cet ouvrage proviennent en effet principalement des archives nazies. Mais 7 historiens ont également apporté leurs conseils et critiques, le professeur Manfred Rommel a volontiers renseigné les auteurs sur son père, et on trouve en fin d'ouvrage 4 documents provenant des archives nationales britanniques de Kew et 3 archives américaines.

Je n'ai pas l'impression d'avoir lu le même livre que lui. Certes, le ton est souvent générique, mais il est également nuancé. Typiquement, le tableau présenté est bien que l'accueil du petit moustachu en terre arabe fut généralement enthousiaste, particulièrement en Palestine, dont il est souvent question et d'où venait le grand mufti, où on se saluait souvent d'un Heil Hitler (Hitler qui était même pris pour ʿĪsā (Jésus) ou le dernier prophète par certains), mais on nous parle aussi d'un nombre important de soldats maghrébins qui ont déserté les rangs nazis.

Cet historien critique aussi les conclusions des auteurs, arguant qu'il n'est pas sérieux de prétendre que si Hitler n'avait pas perdu à El-Alamein, le Yishouv (foyer juif en Palestine mandataire) aurait connu le même sort funeste que les Juifs en Europe. Personnellement, ce me semble pourtant plus que plausible. L'exemple pris par les auteurs pour s'en convaincre est la collaboration active de la police lituanienne dans les fusillades de Juifs, et la collaboration plus ou moins active selon les pays.

Mais en croisant les sources, ce que ne fait pourtant pas M. Trimbur, on tombe vite sur Wolfgang G. Schwanitz, spécialiste du monde arabe, historien et économiste du Moyen-Orient, appuyé par Chantal Metzger, agrégée d’Histoire et docteur ès Lettres, ici: https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2014_num_101_384_5134_t18_0346_0000_2

Ainsi qu'il est précisé dans cet article, M. Schwanitz a utilisé les fonds d'archives suivants: Archives nationales des Etats-Unis, fonds français (CAOM), allemands, israéliens, égyptiens, serbes, russes, britanniques mais aussi fonds privés et bibliographie (une cinquantaine de pages du livre y est consacrée).

Ou encore Jeffrey Herf avec son Nazi Propaganda for the Arab World, Klaus Gensicke et son impressionnante biographie consacrée à Hadj Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, et Matthias Küntzel avec Djihad et la haine des Juifs.

Pas mal d'auteurs semblent donc converger dans le même sens.


Une certaine gauche embarrassée:

Outre les nombreuses références aux violences commises contre les Juifs avant et pendant la 2ème guerre mondiale, documentées par les nazis et les Italiens, ce dont j'ai déjà parlé dans ma précédente critique du livre de Daniel Sibony, je ne m'attarde pas ici pour nous intéresser à quelques anecdotes pour le moins gênantes pour certains militants gauchistes, par exemple celles qu'on voit sur cette photo: https://k-larevue.com/israel-genocide/

Oui, le keffieh, aujourd'hui symbole de "résistance" de la Palestine. Voyons ensemble son origine:

"En août 1938, on imposa brutalement à la population arabe de nouvelles règles vestimentaires qui en disaient long sur les méthodes du terrorisme. On donna soudain le mot d'ordre selon lequel toute personne qui se prononçait pour la cause nationale palestinienne devait porter la même coiffe que les révolutionnaires, à savoir keffieh et agal (foulard et double cordon), rapportait Dittmann en septembre de la même année. L'intégralité de la population arabe de Palestine s'est pliée à ce commandement - aussi bien les mahométans que les chrétiens, les effendis et les fellahs -, si bien que la coiffe millénaire des Arabes des villes, le tarbouch, a complètement disparu et que les villes de Palestine ont un aspect radicalement différent. Cette consigne fut aussi imposée de façon terroriste, comme l'a fait remarquer Fischer-Weth sur un ton suffisant: "La police les trouve dans une rue arborée de la vieille ville de Jérusalem: deux Arabes, le visage par terre, manifestement abattus par des coups de feu dans le dos, mais leurs blessures soigneusement couvertes par cette coiffe qu'on appelle "fez" en Europe mais tarbouch en Orient. L'un des deux cadavres est un avocat renommé, l'autre un propriétaire prospère. Les balles qui les ont tués ne proviennent pas d'armes juives ou britanniques... Tous deux sont des Arabes assassinés par des Arabes. Ils avaient commis le crime de ne pas tenir compte des dernières consignes du général des corps francs qui avaient été affichées quelques jours plus tôt dans tous les coins de rue de Jérusalem."


Ici on nous explique que ce n'est pas une nouveauté pour les terroristes arabes de ca dans leur djihad des dommages collatéraux contre la population civile:

"Le consul allemand à Haïfa rapportait un mois plus tard qu'encore récemment, des bandes arabes [...] attaquaient et pillaient le soir les colonies juives locales, sans hésiter à descendre les femmes et les enfants. Il mentionna aussi le fait que depuis 10 jours environ, des ouvriers juifs sont régulièrement tués sur leur lieu de travail et dans la rue, sans qu'on ait jamais pu prendre le coupable. Pendant cette période, les Arabes dévastèrent continuellement les terres cultivées par les Juifs ; on estima à 200'000 le nombre d'arbres détruits.

Malgré leur grand nombre de victimes, les Juifs de Palestine ne représentaient pas la seule cible de la révolte arabe, qui en recherchait également dans ses propres ranges. Si 547 Juifs furent tués par les terroristes arabes entre 1936 et 1939, ceux-ci firent aussi 494 victimes parmi les Arabes, soit un chiffre presque aussi important. Ils s'en prenaient en particulier à ceux qui montraient une trop grande disposition à faire des compromis avec les Juifs et les Britanniques..."


Là encore, on peut faire un parallèle intéressant avec les méthodes terroristes du Hamas aujourd'hui:

"C'est à partir de ces quartiers généraux et des souterrains que sont également organisés tous les attentats, ces derniers temps essentiellement contre des agents de police auxiliaires juifs, et il est intéressant de remarquer que depuis trois ans aucun des auteurs des attentats n'a été pris sur le fait. Pourtant, ces actes sont tous commis en plein jour et au milieu de la circulation. L'agresseur s'approche généralement d'un air inoffensif, suivi d'une femme voilée ou d'un gamin qui lui tend l'arme au dernier moment et la reprend après le tir pour disparaître avec. Lorsqu'on fouille tout le quartier, on ne trouve aucun homme arabe portant une arme."


Ici enfin, un age remettant en question la crainte des Palestiniens d'être Grand Remplacés:

"La Troisième Aliyah qui avait commencé en 1919, amenant 35'000 immigrés jusqu'en 1923, avait essentiellement été déclenchée par les pogroms de 1919-1920 en Ukraine et était encore fortement marquée par le mouvement ouvrier sioniste. Un recensement de 1922 fixait la population totale de la Palestine à 752'048 individus, dont 589'177 musulmans et 83'790 Juifs. La Quatrième Aliyah lancée en 1924 avait une composition sociale très différente puisque la plupart des réfugiés venaient désormais de Pologne et vinrent sensiblement renforcer les couches moyennes citadines du pays. En effet, les indices avaient entre-temps considérablement changé. Les Etats-Unis, qui avaient accueilli jusqu'alors la plus grande partie des réfugiés juifs d'Europe centrale et de l'Est, introduisirent en 1921 et en 1924 d'importants obstacles législatifs à l'immigration, et l'Union Soviétique - jusque-là le pays d'origine de la plupart des immigrés de tendance socialiste - compliqua aussi l'émigration. En 1932, la population de la Palestine comprenait 1'052'872 personnes, dont 771'174 musulmans et 180'793 Juifs. Au regard de ces chiffres, la crainte des Arabes de se voir submergés par une vague juive était totalement injustifiée, puisque leur population croissait beaucoup plus vite que la population juive, leur taux de natalité étant beaucoup plus élevé.


Et comme je suis bon prince, je vous épargne les méthodes terroristes façon Indiana Jones et le Temple maudit...


Conclusion:

Si cet ouvrage malgré tout fascinant ne saura constituer une preuve d'ensemble définitive, selon sa prétention, il n'en demeure pas moins convaincant et embarrassant, dès lors que des preuves flagrantes s'y trouvent, d'autant appuyées par le croisement des sources. Ce qui est cocasse, c'est qu'après qu'Israël eut réussi à se défendre contre la volonté de destruction de ses voisins, les Arabes commencèrent à rechercher des analogies entre l’État juif et le national-socialisme, par exemple en 1982 le journal égyptien Al-Ahram.

Il est également important de rappeler que le Grand Moufteur a été le père spirituel de Yasser Arafat, les deux hommes se sont rencontrés régulièrement, étaient lointains parents et Arafat a même déclaré que le mufti était un héros, une continuité révélatrice semble de fait se dessiner dans les propos des dirigeants arabes dans les années qui suivirent la 2ème guerre. En cela le critère d'antisémitisme régnant dans ce conflit me paraît sérieux, en tout cas parmi les dirigeants qui mènent le bal, et s'il ne touche pas tous les Arabes non plus, son moteur a été, comme souvent, la propagande ponctuée de complotisme (qui a mené à pas mal de pogroms...).

Malheureusement celle-ci semble toujours convaincre aujourd'hui, particulièrement en Occident.

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Nielad Divinorum

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