Ce roman n'est qu'une unique phrase, un unique souffle de vie avant la noyade, dans lequel tout est dit. On est complètement happé par le récit, par la précipitation de la narration. Les mots sont simples, puissants, choisis et finement aiguisés, d'une vérité crue que le lecteur prend en pleine figure.
La personnalité d'Anguille nous emmène, complexe, mystérieuse mais sans détour, d'une grande modernité dans une société patriarcale. Elle a choisi la liberté et l'assume jusqu'au bout, avec ses lourdes conséquences. L'écueil du misérabilisme est ainsi évité.
Quand on entend parler des Comores, c'est pour évoquer les drames des migrants noyés entre Anjouan et Mayotte, attirés par l'espoir d'une vie meilleure. C'est le sujet, le point de départ du livre. Mais ce n'est qu'une porte d'entrée dans une histoire de vie, celle d'une jeune fille vivant dans un village de pêcheurs, quelque part dans l'océan Indien. Le lecteur voit à travers les yeux d'Anguille, qui raconte son histoire avec un réalisme sans détour, des images justes, taillées au couteau. Le misérabilisme est évité, autant par sa force de caractère que par ce qu'elle nous fait voir de son environnement familial, de son village, des palabres, des couleurs et du poids de la tradition. Ali Zamir prête à son héroïne une façon moderne de raconter, mais qui rappelle aussi fortement les contes africains. D'ailleurs, les personnages ont des noms d'animaux, pas choisis au hasard, qui décrivent et reprennent quelques-uns de leurs traits de caractère (Anguille, Crotale, Vorace…). Grotesques, émouvants, cruels, leurs interactions font tourner la fable à la farce triviale et tragique.
Un premier roman bouleversant, et prometteur, dont on ne peut que souhaiter qu'il fasse mieux connaître la littérature africaine.