Babylone système II - Les dérives

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On ne peut pas parler de capitalisme sans parler d'industrialisation, et qui dit industrialisation dit changement climatique. Si je mets ce bouquin plutôt qu'un autre, c'est qu'en plus de politiser la question de l'anthropocène et de l'étudier sur le temps long (avec beauuuuucoup de sources), il déconstruit une idée reçue un peu dangereuse : celle selon laquelle on a détruit la planète parce qu'on ne savait pas ce qu'on faisait. C'est faux, archi faux. Dans une certaine mesure, on a toujours été capables de constater notre impact sur les écosystèmes, et les luttes écologistes ne datent pas du XXe siècle.
En se demandant comment on en est arrivé à ce degré de dégradation du système Terre, les auteurs discutent le rôle du consumérisme, des disparités de richesses, de l'élargissement des inégalités, et de l'économie marchande pour souligner la différenciation des responsabilités et des incidences entre les classes, les sexes, les peuples. Ils étaient wokes avant l'heure les cons.

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Un parpaing qui démontre, chiffres à la clé, comment l'économie néolibérale a permis d'atteindre des niveaux d'inégalités tels qu'ils menacent le bon fonctionnement de la société. Allant à l'encontre du discours capitaliste, de telles inégalités entravent l'esprit d'entreprise et la libre concurrence. A l'inverse, le libéralisme a permis à une caste d'actionnaires de phagocyter l'économie mondiale pour bénéficier d'une "rente parasitaire" sur la valeur ajoutée des travailleur·euses. On note que le bouquin a été publié en 2013 et que la tendance ne s'est pas inversée.

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Le "désencastrement" du marché (son affranchissement des sphères sociales et politiques) initié au XIXe siècle a posé les jalons de la montée en puissance du fascisme. Quand le marché est devenu auto-régulateur, le travail, la terre, l’argent ont eux aussi été considérés comme des marchandises. La société a commencé à devoir s’adapter à la sphère économique, et non l’inverse. Polanyi montre à quel point la marchandisation de ces éléments est économiquement dangereuse et socialement inacceptable (de fait, malgré les discours libéraux, l'Etat met en place de nombreuses institutions allant à l'encontre du marché, comme les syndicats ou les lois de protection de la terre).
De fait, le désencastrement rend toutes les questions sociales dépendante de l'économie marchande, qui elle-même repose sur un équilibre instable (puisque imparfait). Le national-socialisme est une réponse à la pression générée par le marché sur la population. En 1930, l'effondrement des marchés a entrainé l'essor du fascisme. Ce dernier proposait d’échapper à une situation institutionnelle injuste, où le marché étouffe un corps social sans issue. Forcément que ça parlait aux masses.
T'imagines si un siècle plus tard on avait complètement ignoré ces enseignements, on avait appliqué des mesures ultra-libérales à la chaine, et qu'on faisait comme si on était surpris que les fachos montent en flèche à la première crise financière ? Ce serait la honte hein ?

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Dans une économie libérale, le système médiatique finit mécaniquement par servir en priorité les intérêts des plus puissants. Chomsky et Herman identifient un ensemble de biais de natures financière (recherche de profit du média), logistique (capacité à capter l'information), légales (procès) ou idéologique/culturelle qui filtrent et déforment l'information avant qu'elle ne soit présentée au grand public, et qui limitent la visibilité de médias d'opposition. Ce qui est fou, c'est que le progrès des technologies de l'information semblent renforcer ces mécanismes plus qu'autre chose. Le bouquin date de 1988 mais il est encore très pertinent - ce qui est terrifiant.
Je mets ce bouquin dans la liste à cause d'une raison simple : si dans une démocratie représentative, l'accès à l'information est biaisé en faveur des acteurs qui ont le plus de ressources financières, comment veux-tu que nos représentants soient choisis sur des bases équitables ? Ca me semble être un bon exemple de comment notre régime économique affecte la viabilité de nos systèmes politiques.

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Sans détailler autant que Chomsky, Lénine avait déjà identifié comment la démocratie - au sens républicain - est la meilleure enveloppe politique possible au capitalisme. En effet, elle canalise et sape les moyens d'action politique directe du prolétariat, tout en réservant à la classe bourgeoise la seule légitimité de prétendre au pouvoir. L'Etat est donc un système d'oppression qui opère à travers ensemble d'institutions répressives (groupes armés, justice…) visant à assurer la pérennité de l'ordre social établi et à maintenir possible l'exploitation d'une classe sociale par une autre.
De nouveau, quand tu vois qu'aujourd'hui nos politiciens sont presque tous issus des mêmes milieux, des mêmes écoles, et qu'ils sont tellement déconnectés de la vie "normale" qu'ils sont pas foutus de savoir combien coûte un pain au chocolat, on se sent difficilement représentés. Par contre, quand on connait les rapports de connivence entre politiciens et grands actionnaires, il y a peu de chances que les décisions prises aillent en faveur du plus grand nombre.
Ceci dit, Lénine était pas non plus le plus grand démocrate du monde, et le régime qu'il a mis en place n'a pas échappé aux dynamiques qu'il dénonce lui-même...

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Césaire fait l'apologie de toutes les sociétés "para-occidentales", justement parce qu'elles représentent une alternative au capitalisme. Et aussi parce qu'elles ne sont pas capitalistes, donc elles sont vouées à disparaitre. Ce point apparait aussi chez Polanyi : après la première vague de colonisation, motivée par l'extraction des ressources, il y a eu une phase d'"intégration" à l'économie marchande moderne. Par intégration, entendre : la destruction et le sabotage systématique d'économies autochtones millénaires. Parce que le libéralisme ne e pas de voisins (sinon les équations marchent pas), son existence suppose la destruction de toute alternative. La présence militaire et bureaucratique de l'Occident n'a pas survécu à beaucoup d'indépendances, mais le modèle économique s'est répandu. Un des plus gros dégâts provoqués par la colonisation, c'est l'extinction de dizaines de milliers de modèles économique alternatifs au marché auto-régulateur - et potentiellement bien plus durables.

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L'histoire nous enseigne que la durabilité d'une idéologie dépend en grande partie des rapports qu'elle réussit à entretenir avec l'altérité. Nos sociétés ont profondément muté en seulement quelques décennies. En miroir, beaucoup de civilisations voisines se sont transformées de manière spontanée ou exogène, volontaire ou subie. Reste à savoir ce qui en a résulté. Est-ce que la mondialisation pave le chemin du "développement" pour un avenir meilleur ? Ou au contraire, est-ce que la barbarie cachée du système néolibéral et l'exploitation illégitime de continents entiers génère de nouvelles formes de violences ? Est-ce que, par exemple, on n'aurait pas fabriqué nos terroristes ?
Amin Maalouf retrace l'évolution politique et culturel du Proche Orient depuis les années 50. Il décortique la montée en puissance des conflits religieux, des inégalités économiques, du dérèglement climatique et du populisme. En plus d'avoir une plume merveilleuse, il réussit l'exploit de ne pas tomber dans un misérabilisme condescendant qui ferait er les orientaux pour des simples victimes de la colonisation ; mais il n'invisibilise pas pour autant le rôle majeur qu'a joué l'occident sur l'échiquier politique et économique de la région.
J'en profite pour te recommander chaudement les Identités Meurtrières si tu l'as pas lu. Il y parle des personnes aux identités géographiques et culturelles multiples (étant lui-même franco-libanais), et de ce que ça peut impliquer dans la construction de soi et dans le rapport à une société. C'est brillant et c'est beau.

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Ici on parle moins de libéralisme que de ses prérequis cognitifs - l'individualisme et l'impulsivité - et de comment une société qui se base dessus génère de la dépression. Contrairement aux sociétés disciplinaires dont nous découlons, le capitalisme néolibéral suppose que les individus prennent en permanence des décisions qui les concernent, qu'ils soient "capitaines de leur propre navire". En toute chose, on attend des individus qu'ils soient actifs, déterminés, performants. Il faut avoir des projets, et il faut savoir les communiquer. En somme, il faut vivre dans une désinhibition permanente qui convient volontiers au consumérisme compulsif. Or, certains sont incapables de répondre à ces injonctions sociales. La psyché refoule jusqu'au jour où elle décompense :
Page 294 : "Or, la dépression est une pathologie du temps (le déprimé est sans avenir) et une pathologie de la motivation (le déprimé est sans énergie, son mouvement est ralenti, et sa parole lente). Le déprimé formule difficilement des projets, il lui manque l'énergie et la motivation minimales pour le faire. Inhibé, impulsif ou compulsif, il communique mal avec lui-même et avec les autres. Défaut de projet, défaut de motivation, défaut de communication, le déprimé est l'envers exact de nos normes de socialisation. Ne nous étonnons pas de voir exploser, dans la psychiatrie comme dans le langage commun, l'usage des termes dépression et addiction, car la responsabilité s'assume, alors que ses pathologies se soignent. L'homme déficitaire et l'homme compulsif sont les deux faces de ce Janus".
En somme, à vouloir faire des humains-machines parfaitement ajustés au système économique, on finit par cultiver des humains-serpillères qui ont deux alternatives : prendre des cachets pour rentrer dans le rang, ou l'aliénation sociale.
Si le thème des impacts psychologiques du néo-libéralisme t'intéresse, tu peux aussi aller voir l'Essai d'exploration de l'inconscient de Jung (1964), qui est brillant, et Psychopolitique de Byung-Chul Han (2016), que j'ai pas compris.

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Si tout se vend, si n'importe quoi peut devenir une marchandise, alors le corps féminin aussi. Bien sûr l'objectification et la marchandisation des femmes ne date pas du XXe, mais la révolution idéologique qui a accompagné / permis la montée en puissance du néolibéralisme a pas mal rebattu les cartes. Le "marché du sexe" n'a plus du tout les mêmes aspects qu'avant, mais il continue à peser sur les dynamiques de genre. Rubin est une pionnière de l'intersectionnalité capitalisme / genre, mais pour explorer le sujet tu as évidemment Angela Davis (1981) et en plus récent tu peux regarder les travaux d'Elodie Bertrand, elle est ionnante :)