L’essentiel est caché. Un tout d’une cohérence rare. Une narration masquant ses véritables forces. Rien n’est prémâché. Libre au joueur de se laisser porter, ou bien d’en demander plus, de triturer le logiciel dans tous les sens pour en retirer quelques maigres indices. Au-delà d’un scénario certes solide mais lacunaire, Koudelka est une somme. D’influences, de références, de symboliques. La mise en avant d’une autre interactivité, celle qui agresse l’intelligence et la psyché de sa victime consentante, qui la marque, non pas directement, par le biais d’une imagerie ou de propos dans l’instantané, mais avec douceur. Loin des topos habituels de l’horreur ou du mélodrame parfois dégoulinant du jeu de rôle, deux influences certes importantes, l’unique production vidéoludique de Kikuta Hiroki est un regard. Perçant, las, désabusé, de ceux qui interrogent, tout en instaurant un malaise certain. Que veux-tu me dire ? Que veux-tu exprimer ? Je ne peux croire que ces errances de game design ne sont que le fruit d’un manque de temps, de moyens et d’expérience. Non, je sais que ce n’est pas le cas. Tu caches quelque chose. Bien sûr, je pourrais me contenter de considérer que tu ne fais que récupérer une herméneutique ée à la moulinette de la culture pop. Mais ces « touches d’exotisme » sont trop nombreuses. Trop présentes. Documentées et réfléchies, mises en scène dans des compositions d’une effarante pertinence. L’effroi, la tension, je ne les ai que peu ressentis. Mais le malaise, ce vertige existentiel, cette délectable fascination morbide face à l’ineffable, diable. Une nuit, trois vagabonds, un drame. Des drames, plutôt. Tout n’est que drame. Le drame d’une espèce aux prises avec son ignorance et sa terreur du Néant. Koudelka est la réinterprétation d’un mythe, celui de l’homme moderne, un spécimen qui a tué le sacré au profit de la raison.
Dans la pensée hindoue, il est nécessaire de prendre conscience du voile illusoire de la mâyâ pour retrouver l’Eternité par la connaissance, et donc se détacher du Temps, mortel. Dans la pensée du vieux continent, il est nécessaire d’archiver. Toujours, encore. Savoir, connaître. Car, face au vertige du Néant après la Mort, quelle meilleure réaction qu’un refus vaniteux, et le désir de se replacer dans l’Histoire, de chercher un sens à tout ceci ?
Koudelka n'est pas un grand jeu, non pas. Ni même un produit maîtrisé, ou commercialement cohérent. "Bancal", peut-être. "Audacieux", c'est certain. Il ne résonnera pas avec tout le monde. Mais il mérite les quelques heures nécessaires à sa contemplation.