L'humanité perdue

En s'inspirant du véritable récit vécu par Clairvius Narcisse, un Haïtien dont la notoriété provient du récit qu'il a lui-même prodigué et selon lequel il aurait été transformé en zombi en se voyant drogué par des esclavagistes, Bertrand Bonello opère un parallèle confondant face à l'éducation actuelle opérée au sein du Lycée de la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur, uniquement réservé aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers.

Via deux époques différentes, 1962 et 2019, le récit se métamorphose en fable aussi magnétique que ionnante au sein de deux univers où les cultures diffèrent mais finissent néanmoins par se lier de par la fraîche arrivée d'une élève haïtienne, Mélissa, au sein de l'établissement scolaire, véritable symbole de la méritocratie et de l'excellence. Se liant à une forme de Loge aussi extrascolaire que secrète formée par 4 élèves (fabuleuses Louise Labeque, Ninon François, Mathilde Riu et Adilé David, que Bonello réemploiera par ailleurs dans Coma, son film suivant), Mélissa transfigurera le jugement porté à son encontre en dévoilant une partie de son histoire familiale. En parallèle, l'une des jeunes membres de La loge, Fanny, tentera de régler son chagrin d'amour par le biais d'une expérience vaudou qui va inévitablement mal tourner.

Malgré son titre, Zombi Child n'est en aucun cas à classer dans la catégorie horrifique. L'œuvre s'élève bien au-delà du genre en s'inspirant indéniablement de véritables croyances haïtiennes aussi bien cantonnées à la religion qu'à la culture propres à l'État des Grandes Antilles. Les pratiques vaudou, prodiguées au sein de cette culture qui expérimente le processus de zombification, ont par ailleurs été retranscrites par l'anthropologue canadien Wade Davis dans The Serpent and the Rainbow, titre que reprendra Wes Craven pour son film d'horreur de 1988 avec Bill Pullman. Bonello, lui, écarte indéniablement tout l'aspect horrifique pour essentiellement se consacrer sur la cause à effet provoquée par certaines substances végétales couramment utilisées à Haïti lors des rites vaudou. Et en mettant en parallèle l'éducation rigide et appliquée au sein d'un établissement élitiste, le cinéaste propose une idée de génie, visiblement incomprise par le public français qui a très largement rejeté le métrage.

Pourtant, Bonello réalise ici l'un de ses plus grands films en établissant, à sa manière, la zombification opérée dans les établissements scolaires où les jeunes élèves, bien plus attirées par les lyrics de Damso qu'elles interprètent en chœur en mode : " Des fils de putes, j'en vois tous les jours, loin dans son uc, elle a plus d'un tour, du monde à dos pour ce que j'ai fait, qu'ils aillent se faire enculer de loin et de près" que par les cours auxquelles elles assistent silencieusement et sans émettre la moindre émotion. Avec, en prime, la quantité industrielle de ragots émis via internet qui monopolisent bien plus l'attention de ces futures élites que le moindre cours d'Histoire, le réalisateur met impérativement en lumière le soubassement des destinées avec une lucidité plus qu'aguerrie.

La rencontre avec Mélissa cantonnera l'une des adolescentes, Fanny, aux confins de ses illusions pour la modique somme de 1500€ qu'elle propose à la tante de son amie afin d'être sujette à un envoûtement vaudou. Peut-être la partie la moins ionnante du métrage qui nous ramène bien plus au pastiche du genre en mode Vivre Et Laisser Mourir qu'à la pertinence du sujet abordé. Étant néanmoins de courte durée, cette séquence ne gâche en rien l'intensité et le message de fond de cette oeuvre aussi ionnante que particulière.

Bertrand Bonello reste ainsi l'un des très rares réalisateurs a pertinemment s'adresser à la génération Z, dont je fais par ailleurs partie, avec une lucidité aussi perspicace qu'intelligente. Sûrement grâce à l'amour qu'il porte inconditionnellement envers sa fille qui a visiblement mon âge. Merci à lui, du plus profond du cœur, de saisir aussi promptement nos désillusions et de les transfigurer ainsi.

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