En 2014 le cinéma français avait connu sa (risible) controverse en voyant projetés dans ses salles deux biopics sur le grand couturier.
J'avais d'emblée préférée, par principe un peu absurde, la version de Bertrand Bonello, aussi atroce soit-elle, qui proposait une vraie vision auteuriste et, par son sens du sulfureux, ses comédiens et sa mise en scène psychédélique, ne se contentait pas d'un simple traitement classique d'une vie qui, lissée à l'extrême, épurée de ce qu'elle pourrait avoir de scandaleux ou dérangeant, plairait au plus grand nombre, et serait nommée aux Césars.
J'abordais donc ce Yves Saint Laurent avec quelques préjugés.
Ce film est certes un énième biopic, scolaire, conventionnel dans sa forme, et pauvre dans sa mise en scène. Jalil Lespert ne transparait jamais derrière sa caméra se contentant de capter, avec une certaine classe fade, la vie de cet homme torturé, dont il sélectionne les instants de vie, et opte pour la forme immanente au genre : pénible voix-off en flashforward de l'être aimé, descente progressive en enfer, la faute à une vie dissolue et pleine d'excès qu'on ne manquera pas de juger, mais reconnaissance derrière ces "travers" du vrai génie torturé qu'était l'artiste.
Grande émotion, sobriété, musique puissante (par Ibrahim Maalouf), comédiens au diapason.
Jamais le film ne se démarque, se contentant du demandé.
Et pourtant il faut bien avouer que quelque chose prend, et émeut.
Avouons que Pierre Niney parvient à disparaître derrière son personnage (ce qu'on n'aurait jamais cru), que le film ne recule pas toujours face à la luxure et à la démesure de cette vie (plus frontal, sans jamais l'être vraiment, que ce qu'il laissait augurer), et qu'une certaine grâce prend finalement le dessus.
On aurait évidemment aimé voir le créateur au travail plutôt que sa vie faite de drogues et de sexe, mais en décalant habilement le sujet vers l'homme de la vie de Saint Laurent, Pierre Berger, homme de l'ombre, dur, austère, le cerveau pratique qui canalisait l'artistique, le film parvient à raconter une belle histoire d'amour agitée, et permet à Guillaume Gallienne de er au premier plan, dans un rôle plus subtil, donc émouvant, que la performance à l'américaine évidemment récompensée de Niney.
On se prend donc au jeu de ce film qui redra la longue liste des biopics pauvres en âme.