Au sud du Missouri, les monts Ozarks sont un peu le tiers-monde de l'Amérique du Nord, une région isolée dont les habitants ont appris à se débrouiller seuls en se nourrissant d'écureuils et en multipliant les petits trafics. Principale source de revenus, la culture du cannabis y est depuis quelques années supplantée par la fabrication de méthamphétamine, une activité autrement plus dangereuse qui accentue encore les rivalités ancestrales entre les familles qui se partagent ce territoire rude et sauvage. C'est là que l'excellent écrivain Daniel Woodrell situe la plupart de ses romans, des livres au réalisme âpre qui renvoient aussi bien à Emile Zola qu'à Jim Thompson, témoignant d'une vision désenchantée de l'existence, tempérée par de rares moments de tendresse et de comion. On retrouve parfaitement cet univers tragique teinté d'un humanisme désespéré dans Winter's Bone, fidèle adaptation du roman éponyme de Woodrell (en français Un hiver de glace, Ed. Rivages) par la réalisatrice Debra Granik. C'est l'histoire de Ree, une ado courageuse qui s'occupe seule de ses petits frère et sur et de sa mère malade et qui part à la recherche de son père, disparu à sa sortie de prison, après avoir mis la maison familiale en caution. Très vite, elle se doute qu'il a été victime d'un règlement de comptes entre trafiquants tout en se heurtant à une implacable loi du silence. S'ensuit un oppressant périple de survie qui tient à la fois du thriller et du conte initiatique, filmé avec sobriété par la cinéaste américaine, dans un style documentaire qui met en valeur la performance de l'actrice Jennifer Lawrence, dont le beau visage juvénile contraste avec une collection de gueules (masculines et féminines) plus patibulaires les unes que les autres. Une opposition que l'on pourra juger parfois un peu trop schématique mais qui n'enlève rien à la force d'un récit filmé à juste distance, qui traite avec une discrétion bienvenue les ages les plus violents du roman sans en édulcorer le propos.
Critique écrite à la sortie du film