Hal Ashby, ce réalisateur américain qui a été à son sommet lors des années 1970. Oui, symboliquement, sa carrière de cinéaste a débuté en 1970, par The Landlord, et sa dernière réussite, Being There, date de 1979. Cela a été une période triomphale pour lui, enchaînant de beaux succès, fréquemment commerciaux, au minimum critiques, avec tout le lot de récompenses et de nominations aux cérémonies les plus prestigieuses allant avec. Il faut bien dire que son style, naturaliste, satirique, désabusé, était en phase la morosité ambiante d'une superpuissance doutant, déprimant, englué dans le traumatisme au Vietnam, les désillusions quant au Flower Power, en suivant des déphasés, des êtres allant ou souhaitant aller à l'encontre des injonctions de la société, souvent aux prises avec plus puissant qu'eux sur l'échelle sociale, au moment lors duquel ils font face à une situation inédite.
Il était hélas logique que les années 1980 (les États-Unis ant radicalement à un état d'esprit opposé lors de l'ère Reagan, plus que jamais sûrs d'eux-mêmes, arrogants comme ce n'est pas permis, se gavant indécemment dans le capitalisme le plus débridé !) soient devenues synonyme, pour Ashby, d'une chute vertigineuse, par l'intermédiaire d'une suite de bides commerciaux impressionnants, couplés à des désastres critiques, avant qu'un cancer l'emporte quinquagénaire, ne lui permettant donc pas de connaître la conclusion de cette décennie, fatale pour lui à tous les points de vue.
Euh, minute papillon ! Stop, stop ! Vous n'étiez pas censé rédiger la critique du film The Holdovers (merci, au age, aux distributeurs français, avec leur choix de titre respectant bien la langue de Molière !), sorti en 2023 et mis en scène par Alexandre Payne au lieu de discuter d'un monsieur ayant cassé sa pipe en 1988 ?
À cette interrogation légitime, je réponds que The Holdovers, tel qu'il est, à deux aspects près (que je vais aborder plus loin !), aurait tout à fait pu être un film d'Hal Ashby des seventies, particulièrement de la première moitié.
Dès les plans d'introduction (et ça ne se dément pas du tout par la suite !), ce qui saute immédiatement aux yeux, c'est sa ressemblance visuelle (par les décors froids et rigides, ne se distinguant guère pour leur vivacité, les costumes aux couleurs chaudes, la manière de filmer sobre avec le souci de placer l'humain au centre de tout, l'ambiance grisâtre, hivernale !) avec des œuvres comme Harold et Maude ou La Dernière Corvée (oui, l'action de The Holdovers se déroule durant les derniers jours de 1970 et les premiers de 1971 !). Seule différence ici, il y a le côté plus lisse du numérique dans le grain de l'image.
Et, bien au-delà de la forme, la musique aux tonalités mélancoliques (un peu à la sauce Cat Stevens à la BO d'Harold et Maude !), l'histoire, les personnages, la direction d'acteurs sont similaires à ce que l'on retrouve dans un Ashby. Il y a les mêmes personnages principaux crédibles, bien écrits, se comportant et évoluant d'une façon cohérence, avec leur complexité, leurs qualités et leurs défauts, essayant de se soutenir les uns les autres du mieux qu'ils le peuvent ; bref des humains très proches de nous, regardés avec la même tendresse, la même empathie, avec le même souhait du meilleur pour eux (avec les limites, quelquefois cruelles, de la réalité !). Pour une raison évidente, la distribution aurait été tout autre, mais, à n'en pas douter, il y aurait eu le même type d'acteurs, tout aussi solidement choisis et dirigés, d'une justesse irable (le trio Paul Giamatti-Dominic Sessa-Da'Vine Joy Randolph est vraiment excellent !).
Étant donné que je n'ai vu auparavant de lui que The Descendants, je ne sais presque rien de la filmographie d'Alexander Payne. Reste que, en me référant uniquement à The Holdovers, j'affirme que Payne a adopté une démarche artistique identique à celle d'Ashby. Et pour celles et ceux qui croient que je déraille, sachez que le premier cite régulièrement le second comme un de ses réalisateurs favoris ainsi que comme une de ses plus grandes influences (oui, je me suis demandé moi-même si je ne déraillais pas !).
En résumé, The Holdovers est un Hal Ashby du début des années 1970 tourné par Alexander Payne dans les années 2020. La raison d'être de cette reproduction d'une patte personnelle antérieure, à notre époque ? Aucune idée ! Par contre, je suis sûr du plaisir que j'ai eu à la visionner.