S'il est vrai qu'être soi est déjà toute une aventure, ça vaut le détour de se plonger dans ce qu'être Vincent Lindon veut dire. Pas parce qu'il s'agit particulièrement de lui, l'acteur qui a prêté ses traits à tant de personnages marquants, mais plutôt parce que voilà un homme qui ne sait qu'être authentiquement lui et qui n'a pas peur de le montrer, ce qui n'est pas si fréquent. Du coup, on entre dans son expérience avec effarement, comme on entre dans une lecture dépaysante. Une immersion sans ménagement dans un univers en tension, qui laisse souvent un peu au bord de l'asphyxie, tant le personnage dévore l'espace autour de lui. Il se targue d'être "incroyablement lucide" et on ne met pas longtemps à réaliser que c'est loin d'être un avantage : il ne e rien à personne et se met à lui une pression dingue. Tout le touche et l'écorche, rien n'est fluide ou simple, ses réactions sont complètement disproportionnées la plupart du temps, et on ne le voit détendu à l'écran que quand il se berce d'images violentes susceptibles d'apaiser sa tension, comme dans cette scène hilarante où il résume l'Equalizer en trois phrases jubilatoires. N'empêche, la violence est là, à fleur de peau, prête à surgir à n'importe quel prétexte. Et pourtant, on a également l'impression de suivre le plus doux des hommes dans ses ruminations sans fin. Bref, un paradoxe sur pattes, intranquille, virulent, ambitieux, tourmenté, usant et ionnant à la fois, qui fait là un exercice d'authenticité vraiment casse-gueule, dont on ressort essoré mais également remué durablement, parce qu'on a du grain à moudre sur la condition humaine, le métier d'acteur, les héritages familiaux, la fraternité, les atavismes, la gloire, la solitude et j'en e. Une sorte de somme de toutes les aventures de l'existence, curieusement exposées par quelqu'un qui est censé représenter une certaine forme de succès. De quoi réévaluer son attitude face à la vie, dont on sent bien qu'elle recèle également tout autre chose que ces tourments inextinguibles, un principe simple et doux qu'il faut chercher à isoler dans le fracas ambiant; mais ça n'est pas à la portée de tout le monde, bien entendu, et le héros de ce reportage extrêmement bien construit mériterait un peu de ce répit-là. Le voir privé de sérénité à ce point contribue à recentrer le spectateur, comme un contre-exemple fascinant qui emporte une comion spontanée. Parce qu'on lui ressemble tous un peu, à Vincent Lindon, avec nos batailles dérisoirement graves, nos moments d'abattement insondable et nos joies le plus souvent fugaces. Nos métiers parfois vides de sens. Nos familles en voie d'extinction. Nos souvenirs cuisants, tout ça. Nous aussi, on a l'impression de se débattre encore et toujours sans jamais vraiment toucher au but. Et ça nous rapproche les uns des autres, comme ce film ébouriffant qui n'a rien en commun avec les documentaires qu'on voit d'habitude sur les gens connus. Une expérience.