Guerre froide, fesses chaudes et collier d'oreilles


- Résurgence mémorielle traumatique.
- Quoi ?
- Traumatisme survenu au moment du décès. Dans le cas de Luke, il voulait rentrer chez lui ; lorsqu’il s’est réveillé soldat universel, c’est la seule émotion résiduelle qui lui est revenue. Pour ce qui est de Scott, il se croit encore au Vietnam à combattre les rebelles. Il ne se rend même pas compte qu’il est vivant.
- Il n'est pas vivant. Il est mort, comme moi.


Dis bonsoir, sale con !



Je les entends déjà soupirer derrière leur clavier et lever les yeux au ciel : « 10/10 pour Universal Soldier ? Série B bourrine sans cervelle et sans saveur !… » Eh bien non. Pas pour moi. Parce que Universal Soldier, réalisé par Roland Emmerich c’est un long métrage qui défouraille tout en réfléchissant. Un film de science-fiction qui a du muscle, mais surtout une conscience politique bien plus affûtée que ce que son pitch pourrait laisser croire. Derrière sa carapace de film d’action testostéroné, il y a un regard qui s’inscrit dans la lignée de Terminator de James Cameron et de RoboCop de Paul Verhoeven. Eh oui, j’ai toujours vu Universal Soldier comme un cousin de ces deux monuments, parce qu’il met en scène des surhommes froids, augmentés, réduits à l’état de machines, et parce qu’il interroge, lui aussi, la déshumanisation. On y parle d’hommes broyés par la guerre et vidés de leur volonté, reprogrammés par un système cynique qui va de nouveau faire d'eux des armes, mais cette fois-ci vidés de leur identité, tels des pantins dociles, qui sous leurs parures tape à l'œil, beaux et musclés, ne sont rien de plus que des esclaves. Mais là où RoboCop et Terminator regardent vers l’avenir, Universal Soldier, malgré son vernis de science-fiction, plonge dans le é. Il remonte à la source. Il braque son regard dans le rétroviseur et exhume un traumatisme national : le Vietnam. Là où RoboCop dissèque la société capitaliste du futur, et où Terminator anticipe l’apocalypse, Universal Soldier remonte le fil du sang jusqu’à la jungle, jusqu’aux ordres absurdes, jusqu’au moment où tout a dérapé. Ici, le é se confronte au présent, là où un autre construit son avenir dans les cendres du é, tandis qu’un troisième cherche à survivre à son présent en fuyant vers le futur.



Dès l’ouverture, le ton est donné avec le Vietnam. On pense d’abord retrouver le schéma classique avec les pauvres soldats américains attaqués par les méchants Vietnamiens. Mais non. Emmerich renverse la table. Pas de glorification patriotique, pas de manichéisme. La vraie horreur vient de l’intérieur. Le monstre, c’est déjà l’Américain. Et cette violence fondatrice ne sera jamais effacée, pas même dans la mort. C’est dans cette brèche qu’entre le programme Universal Soldier alias UniSol. Une version militaire de Frankenstein avec des soldats morts, réanimés et conditionnés en étant privés de mémoire. Luc Deveraux (Van Damme) et Andrew Scott (Lundgren) deviennent GR44 et GR13. Des machines à tuer. Jusqu’à ce que les souvenirs remontent, et que les fissures apparaissent. Grâce au scénario de Dean Devlin, Christopher Leitch et Richard Rothstein, le film creuse une vraie tension autour de l'identité, du libre arbitre, et de la mémoire, là où il aurait pu se contenter d’être un simple actioner bourrin. Et entre les lignes, une critique politique prend forme, celle d’un système qui, comme Nixon à l’époque du Vietnam, ment à son peuple, envoie ses soldats au casse-pipe, puis les abandonne. Le film le dit frontalement dans une scène, alors que Deveraux regarde Nixon à la télé, gracié après ses crimes. Bombardements secrets au Cambodge, sabotage des négociations de paix, manipulations d’État… Rien n’a été payé. Tandis que des milliers de jeunes hommes, eux, ont été trahis et broyés par une guerre qu’on leur a vendue comme nécessaire. Et pire encore, le système continue sous d’autres visages. Toujours prêt à recycler les corps. Toujours prêt à effacer la mémoire pour mieux réécrire l’histoire. C’est aussi ça, Universal Soldier.



Côté spectacle, Universal Soldier est d’une générosité rare. On se sert avec plaisir, et on en redemande encore. Dès la scène d’introduction, Emmerich frappe fort avec un massacre macabre dans un cadre suffocant, sans fard ni filtre. Puis vient le fantastique, avec l’apparition des soldats universels. En quelques minutes, ils écrasent une prise d’otages avec une efficacité chirurgicale et inhumaine. Aucune fioriture, juste une démonstration de force. Mais le vrai chaos commence lorsque Luc recouvre peu à peu la mémoire. Dès lors, la traque s’enclenche, et le film devient une course-poursuite haletante et l'action prend une autre forme, plus tendue et viscérale. Je pense notamment à cette scène d’anthologie dans l’hôtel, où Van Damme traverse les murs comme un bulldozer vivant, propulsé par sa surpuissance. Et ce n’est qu’un début. Fusillades, bastons, explosions, chaque confrontation dée la précédente en intensité, jusqu’à cette poursuite en bus d’un dynamisme redoutable. Le clou du spectacle, c’est bien sûr le duel final dans la ferme familiale. Un combat bestial sans concessions, où Van Damme et Lundgren s’affrontent comme deux monstres éveillés. Ça cogne sec, ça défouraille dans tous les sens, et la mise en scène épouse parfaitement la brutalité de ces machines de guerre déchaînées. Mais ce qui étonne encore plus, c’est la manière dont le film marie l’action glaciale à un humour subtilement dosé. Et là, c’est un sans-faute. L’humour ne désamorce jamais la tension, ne trahit jamais le sous-texte dramatique, au contraire, il l’enrichit. Il vient du décalage entre la brutalité programmée de Luc et son humanité retrouvée. Car oui, derrière le corps d’un super-soldat se cache une âme d’enfant, un homme qui redécouvre le monde avec naïveté. Ce contraste donne naissance à des moments de comédie irrésistibles à en pleurer de rire, mais aussi à des moments touchants. Allier la violence la plus sèche à un drame innocent, mêler le spectaculaire à la satire, le burlesque au tragique. Et ça fonctionne à la perfection.



Vous savez pas comment c’est, la jungle ! Hein ?! J’suis là pour me battre et dans ce combat soit tu leurs bottes le train ou tu leurs lèches le cul ! Alors j’leurs pète la gueule !


Côté réalisation, Universal Soldier frappe fort par son efficacité millimétrée. Roland Emmerich ne cherche pas l’esbroufe gratuite, mais une mise en scène au service du récit, du rythme et de la tension dramatique. Chaque plan est pensé pour alimenter la puissance visuelle du film, sans jamais ralentir l’action. La photographie de Karl Walter Lindenlaub, appuyée par la direction artistique de Nelson Coates et Jeff Wallace, apporte une vraie signature visuelle. Elle sait se faire froide et métallique pour renforcer le caractère déshumanisé du programme UniSol, mais aussi se faire stylisée en parsemant le film de plans iconiques, avec en tête celui où Van Damme, couvert de sang, se relève sous la pluie avec un brasier infernal en arrière-plan. Une image puissante, aux allures mythologiques, qui mêle la résurrection au chaos. Le montage nerveux de Michael J. Duthie ne fait jamais défaut. Il conserve une parfaite lisibilité dans les scènes d’action, ce qui n’était pas un luxe dans les années 90, où certains montages sacrifiaient souvent la clarté à l’excès de découpage. Le rythme ne faiblit jamais, tout en laissant respirer les moments plus intimistes. Les décors de Holger Gross et Alexander Carle participent grandement à l’atmosphère du film. De la jungle moite et cauchemardesque du Vietnam à la base militaire ultra-technologique et mobile avec ses cuves cryogéniques et ses seringues automatiques pour laver les cerveaux dignes d’un cauchemar médical, en ant par les décors sauvages poussiéreux, chaque lieu est bien pensé.



Joseph A. Porro propose des costumes devenus cultes à force d’impact visuel. Les tenues militaires renforcées par des gilets pare-balles tactiques, des lunettes noires surmontées d’oreillettes et de viseurs laser rouges composent une esthétique hybride, entre commando high-tech et cadavre réanimé. Ces éléments de conception participent à l’iconisation immédiate des UniSols. Des figures de guerre aux allures mythologiques, dotés d'un background riche. Leur conception repose sur un ensemble de choix cohérent, et de règles biologiques et technologiques qui renforcent leur légende. Le besoin vital de refroidissement, par exemple, fait de la glace leur trône naturel. Ils sont littéralement figés au sommet de leur puissance. Un trône de glace sur lesquels ils s'assoient avec droiture et force, qui évoque la puissance de celui qui fut à la tête des anges, Lucifer, celui qui était constamment en présence de Dieu et qui pensa le surer, jusqu'à la chute, comme le dit les versets dans Esaïe 14:13-14 : « Je monterai aux cieux, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu… je serai semblable au Très-Haut. » Un orgueil divin, puni par la chute. Les UniSols, eux aussi, règnent brièvement avant de chuter sous le poids de leurs souvenirs refoulés. Des caractéristiques incontrôlés qui viennent fissurer le mythe de la machine parfaite. On comprend vite que leur puissance est aussi leur faiblesse. Le système, croyant avoir aboli l’humanité, a simplement déplacé le trauma. C’est là que réside l'intelligence de conception des UniSols. Enfin, la musique de Christopher Franke constitue une proposition plus ou moins efficace. Son mélange de nappes synthétiques tendues et de percussions martiales soutient parfaitement l’alternance entre scènes d’action brutale et instants plus introspectifs. Il y a de très bons ages mais il manque sans doute le thème marquant, celui qui aurait pu résumer à lui seul l’identité du film. Un morceau signature qui s’imprime dans la mémoire autant que les images. Dommage, car tout le reste était en place.



Pour porter ce grand spectacle de science-fiction musclée, le choix de Jean-Claude Van Damme et Dolph Lundgren, alors tous deux en pleine ascension dans les années 90, s’avère aussi pertinent qu’explosif. Ils incarnent deux fantômes revenues d’entre les morts. L’un cherche à retrouver son humanité, l’autre s’enfonce dans la folie pure. Une dualité puissante, intelligemment exploitée.

« - Soldat, tu es mort…

- Non, je suis vivant. »

Dolph Lundgren, dans le rôle du sergent Andrew Scott, est proprement habité. Sadique, psychotique, halluciné, il donne corps à un antagoniste inoubliable. Il incarne un homme resté coincé dans l’horreur du Vietnam, persuadé que la guerre ne s’est jamais arrêtée. Tous ceux qui l’entourent sont, à ses yeux, des traîtres ou des cibles. Ses monologues sont déments, tout comme ses nombreuses répliques tranchantes, et son charisme brut explose littéralement à l’écran. Son collier d’oreilles, qu’il fait tinter comme un trophée, est devenu une signature visuelle aussi dérangeante qu’efficace. Rarement un vilain aura su combiner à ce point menace, absurdité et jubilation morbide. Lundgren s’en donne à cœur joie, et on le sent. Andrew Scott entre au panthéon des antagonistes cultes du cinéma d’action, et sans forcer. Jean-Claude Van Damme offre une performance tout en contraste. Luc Deveraux n’est pas un tueur par plaisir, c'est une âme meurtrie, tiraillée par la mémoire et le remords, qui cherche désespérément à rentrer chez lui. Van Damme campe un personnage profondément attachant, fragile dans sa candeur retrouvée. Son regard vide qui petit à petit se rallume, sa redécouverte du monde tel un enfant, son rapport tendre à la journaliste Veronica. C’est un rôle de composition inattendu pour Van Damme, et il s’en sort très bien. Il alterne scènes d’action spectaculaires et moments plus doux avec une sincérité surprenante, mais aussi plusieurs scènes devenues cultes, dont certaines où son physique impressionnant est mis en valeur d’une manière… disons généreuse, les fesses à l'air et le corps brulant englué de transpiration. À ses côtés, Ally Walker incarne Veronica, la journaliste. Et là encore, belle surprise. Pas de potiche inutile, ni de demoiselle en détresse. Elle a du cran, elle est curieuse, maligne, et résiste autant que possible à la tornade qui l’embarque. Elle devient notre erelle entre notre réalité et celle délirante du projet UniSol. Son duo avec Van Damme fonctionne à merveille, oscillant entre complicité touchante et comédie décalée. Certaines de leurs scènes ensemble sont franchement hilarantes, comme celle où Luc lui demande, tout nu si c'est normal qu'il a un pénis, ou lorsqu’elle doit plonger la main entre ses jambes pour retirer un traceur. Inoubliable.



CONCLUSION :



Universal Soldier aurait pu n’être qu’un énième film d’action bourrin des années 90. Mais sous la carapace de muscles et de bastons spectaculaires, Roland Emmerich livre une œuvre étonnamment riche, hantée par les traumatismes de la guerre du Vietnam, la déshumanisation militaire et la volonté de livrer une pièce de science-fiction conséquente. Grâce à une mise en scène soignée, un scénario plus intelligent qu’il n’y paraît, un univers cohérent et un casting qui se donne à fond (Dolph Lundgren tu déchires !), le film transcende son statut pour s’imposer comme un classique culte à ranger dans la même étagère que Robocop et Terminator.


Un petit choc cinématographique qui a marqué toute une génération et qui pète toujours aussi fort plus de trente ans après.



- Je veux rentrer chez moi.
- On dirait que vous ne comprenez pas. Vous êtes en danger de mort.
- Je suis mort depuis longtemps.
- C'est des histoires, vous n'êtes pas mort ! Ce n'est pas vrai, vous entendez ? Vous êtes en vie, et la vie c'est précieux, ça ne se fiche pas en l'air comme ça.

9
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le 15 mai 2025

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