Plusieurs singularités marquent ce film tardif de Welles : c’est tout d’abord l’un des seuls projets qu’il parvient à achever après Falstaff, sa dernière fiction, Vérités et mensonges étant plutôt un documentaire ; c’est un téléfilm au format court, moins d’une heure ; et enfin, c’est son premier film en couleur.
Inutile de se questionner outre mesure pour comprendre l’intérêt du cinéaste pour cette nouvelle de Karen Blixen : on y retrouve la quasi-totalité des obsessions déjà présentes dans son œuvre.
Un vieil homme riche et puissant (le personnage fondateur de Welles, dès Citizen Kane) au soir de sa vie s’empare d’une histoire que tous les marins racontent sur les bateaux du monde. Dans chaque version de celle-ci, le marin protagoniste affirme avoir été payé par un homme pour er une nuit avec sa sublime femme. Haïssant prophéties et faux semblants, Clay, le vieil homme, recrée donc les conditions de ce récit en payant une jeune fille (Jeanne Moreau) dont il a ruiné jadis le père et le marin en question.
S’en suit la fameuse histoire, dont le commanditaire s’estime propriétaire : aigri, souffreteux, il n’est jamais loin de la chambre, son fauteuil occupant le premier plan dans ces focales courtes démesurées si propre à Welles. Il faut reconnaître que le recours à la couleur n’est pas toujours heureux, et particulièrement dans le maquillage de Welles, qu’on sait friand des travestissements ; mais son agonie aurait pu être moins ostentatoire et expressionniste.
L’atmosphère solaire de Macao est parfaitement retranscrite : la majorité de l’action se déroulant à huis clos, l’obscurité lutte avec la lumière chaude que les amants vont prolonger dans leur union, une première dans la filmographie de Welles. L’indicible amoureux a toujours été éludé, et semble ici aussi échapper à son personnage qui, même s’il fait des amants ses marionnettes, n’accèdera jamais à leur félicité qui restera secrète.
Lorsqu’on la compare à la filmographie du maître, cette Histoire immortelle est paradoxalement celle qui a le plus vieilli : c’est une petite récréation, une activité créatrice, dans laquelle le cinéaste n’a pas ménagé ses efforts en termes d’image, mais qui souffre un peu de sa couleur et de la jeunesse qu’elle évoque. L’idée qu’elle défend reste en revanche atemporelle, et porte un regard lucide sur la vie toute entière d’un artiste dévolu à la fiction: on peut être le maître de l’illusion sans pour autant jouir de l’authenticité de l’expérience. Ecrire une histoire ne garantit pas la capacité à en saisir toute la dimension indicible, dans laquelle se loge la part de vérité susceptible de faire véritablement vivre.
Pour cette seule amertume en forme de confession, Une histoire immortelle mérite sa place dans la filmographie du Titan déchu.
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