J’ai vu de nombreux Hitchcock mais je n’ai pas vu l’œuvre entière du maître, je la découvre encore. Avec Une femme disparaît, Alfred Hitchcock livre l’un de ses films de sa période anglaise, juste avant de partir à Los Angeles pour entamer sa période américaine et, à mon avis, y faire ses plus grands films. Ce film-là s’inscrit dans la veine des thrillers d’espionnage qui ont bâti sa réputation : un cadre banal au départ, du mystère, du suspense et des faux-semblants. Mais si l’intrigue retient encore aujourd’hui l’attention par un certaine efficacité, on sent que Hitchcock est encore en pleine construction de son style (malgré son expérience déjà importante à l’époque), et que certains aspects du film peinent à convaincre pleinement, tout cela lui resservira plus tard dans d’autres films. En 1940, il tournera aux USA l’excellent Rebecca et c’est déjà autre chose.
La force du film c’est sans doute dans sa simplicité qui permet à Hitchcock de jouer sur la paranoïa et la manipulation. Dans Fenêtre sur cour, Soupçon ou encore Sueurs froides, il emploiera les même méthodes avec un grand succès. L'idée est donc intéressante. Le traitement des deux personnages principaux participe également au plaisir que m’a procuré le film. Margaret Lockwood et Michael Redgrave forme un duo charmant, espiègle, tour à tour aventureux et drôle (trop? J’en reparle plus loin). Leur duo fonctionne à merveille, apportant une touche de charme à l’ensemble. L’humour et le légendaire flegme britannique ne sont pas absents de film, peut-être parfois même un peu trop présents…
Car malgré les qualités que je trouve au film, Une femme disparaît accuse aussi certaines limites qui font, à mes yeux, qu’il ne s’agit pas là d’un grand Hitchcock. Le début du film, longuement installé dans un hôtel comme décor (les plans extérieurs font un peu carton-pâte), pêche par un ton peut-être trop léger, trop comique auquel on ne s’attend pas. 25 minutes de prologue pour installer l’histoire et quelques (rares) éléments utiles par la suite, c’est sans doute un peu trop long pour un film de 1h35…Ces 25 minutes flottent longuement et on se demande rapidement si le film va être une comédie ou un thriller ?
La mise en scène n’est pas exceptionnelle l’essentiel se e donc à l’hôtel, puis dans le train sans innover, mais cela e. Certaines scènes d’action, notamment une bagarre censée être tendue et dramatique, basculent dans un comique presque burlesque. L’héroïne trépigne, le héros lance quelques blagues alors que leur vie est en jeu, on veut les poignarder! Hitchcock, qui deviendra par la suite bien plus efficace dans l’art de filmer la violence, tâtonne encore. C’est un peu trop flagrant. On ne craint presque jamais pour la vie des protagonistes ou on est amené à se dire « mais pourquoi font-ils cela ? ». À cela s’ajoutent quelques facilités ou invraisemblances qui sautent aux yeux. L’intrigue, notamment à cause de certaines ficelles trop visibles, se devine facilement. Le mystère retombe rapidement comme un soufflé, les indices sont trop évidents, trop faciles à repérer, mais on regarde le film…
Malgré ces défauts évidents, le film a un certain charme. Hitchcock parvient à maintenir une atmosphère à la fois légère et inquiétante, typique de ses œuvres où le quotidien bascule lentement dans le thriller, un peu comme dans Soupçon, où cela fonctionne bien mieux, les mêmes codes y sont appliqués : une romance, quelques scènes amusantes, le mystère autour d’un protagoniste, le mental de l’héroïne remis en question... Les thématiques chères au cinéaste sont donc bien présentes ici, il les travaille encore. En définitive, je pense qu’Une femme disparaît est une œuvre de transition, un film qu’il faut voir comme une esquisse des plus grandes œuvres du maître. On ne e pas un mauvais moment, certains aspects sont sympathiques, notamment la relation de couple qui se forge tout au long du film, mais on n’est pas face à un grand thriller, plutôt devant une romance teintée d’espionnage qui se laisse voir et qui n’est pas désagréable. Je pourrais lui mettre 13/20 mais ici, il faut trancher 6 (12) ou 7 (14), quel choix cornélien...