Un simple accident
7.2
Un simple accident

Film de Jafar Panahi (2025)

La Nuit des morts-vivants

Depuis quelques années, on sent que le Festival de Cannes veut primer de sa Palme d'or des propositions populaires : Anatomie d'une Chute en 2023, ou encore Anora en 2024. Et c'est selon moi une excellente idée. On sait à quel point la Palme d'or est devenue un argument marketing, qui ramène un large public en salles.

Ainsi, mettre en avant des longs-métrages accessibles (et brillants) pourrait potentiellement redonner au grand public le goût de la salle de cinéma, et enfin apaiser cette tension éternelle entre cinéphiles féroces et spectateurs lambdas. Est-ce que Un Simple Accident s'inscrit dans ce schéma ? Clairement, oui.

3 ans après son dernier long-métrage, Jafar Panahi revient avec une proposition particulièrement atypique. Une œuvre à la narration mystérieuse, qui se dévoile petit à petit, à travers un enchaînement de péripéties complètement farfelues. Un scénario dont je ne dévoilerai rien, si ce n'est qu'il met en confrontation un (potentiel ?) tortionnaire du régime iranien et/ou syrien, à des anciens prisonniers.

Il me paraît alors inévitable d'aborder le parcours de vie récent de Panahi, profondément lié à ce récit. Le cinéaste avait en effet été condamné en 2010 par la justice iranienne à 6 ans de prison ferme, et 14 ans d'interdiction de sortie de territoire, pour « propagande contre le régime ». De même, il fut enfermé au sein des geôles iraniennes en juillet 2022, puis libéré en février 2023, après avoir entrepris une grève de la faim et de la soif.

Un emprisonnement que l'on sait brutal, avec un traitement particulièrement violent et humiliant envers les opposants du régime. Mais surtout, un vrai traumatisme chez les prisonniers, que Panahi thérapise personnellement à travers ce grand exutoire filmique. Et certes, ce n'est pas l'œuvre la plus riche ou profonde sur le sujet (comme a pu l'être Les Graines du Figuier Sauvage de Mohammad Rasoulof en 2024 par exemple). Mais rarement un récit aussi politique et dénonciateur aura été porté par une forme aussi grand public et populaire.

Parce que, avant toute chose, Un Simple Accident est une comédie absolument hilarante. Porté par une écriture remarquable, le long-métrage joue sur un tempo comique ultra efficace, enchaînant des séquences empreintes d'une absurdité, d'une bouffonnerie et d'un humour noir fascinant. Nous plongeant ainsi au cœur d'une troupe de personnages profondément discordante, donnant lieu à bon nombre d'interactions grotesques.

Le véritable coup de maître de l'œuvre sera alors sa faculté à alterner entre cette comédie populaire, et ce drame politique d'une violence morale inouïe. Par exemple, j'évoquais tout juste la disparité marquée au sein de la troupe de personnages. Une disparité principalement vouée à créer du rythme comique, mais exposant également toutes les formes de traumatismes existantes. À savoir comment chaque individu a su gérer, et littéralement renaître, suite aux barbaries innommables subies. Des barbaries qui les ont réduits à, je cite, l'état de morts-vivants.

En découle également un questionnement ionnant sur le cycle de la vengeance : doit-on punir et tuer ces bourreaux, et si oui, ne deviendrait-on pas comme eux ? Certains personnages estiment ainsi que seul un châtiment mortel pourrait soulager leur mal-être. Très malin d'ailleurs de voir l'utilisation de cet arbre à l'image, en plus d'une référence directe à En Attendant Godot, comme le symbole d'une attente et d'une guérison mentale qui n'aboutira jamais.

D'autres estiment que la vengeance est de toute manière impossible, au vu des probables représailles. Et d'autres encore, qu' « il n'y a pas besoin de cre leurs tombes », puisqu' « ils s'en sont chargés eux-mêmes. » Panahi ose d'ailleurs des parallèles particulièrement osés, évoquant notamment Daech, et leur faculté à « se cacher derrière la charia » pour commettre ces abominations.

De même, le long-métrage expose frontalement la vie intime de ce tortionnaire présumé, à savoir sa femme et sa fille. Interrogeant ainsi le spectateur sur sa volonté de séparer (ou non) l'individu du système violent et draconien auquel il appartient. Et ce, jusqu'à un plan fixe d'une quinzaine de minutes, offrant une confrontation absolument irrespirable. En plus d'un plan final tétanisant, laissant brillamment le spectateur tirer ses propres conclusions et sa propre interprétation du dénouement.

On sent que le film a été réalisé dans la clandestinité, avec un dispositif très resserré (et incommode). Pour autant, le cinéaste iranien ne lésine pas sur les idées de mises en scène, avec notamment un travail permanent du cadre assez impressionnant.

Bref, Un Simple Accident constitue une excellente Palme à mes yeux. Même s'il me paraît évident que le long-métrage sera déprécié par ce titre très (trop ?) honorifique. Oui, ce n'est pas le plus grand film sur le sujet, ni le plus ambitieux. Mais il est essentiel de juger le film en tant que tel, et non en tant que Palme d'Or, ou je ne sais trop quoi (je vous ai déjà dit à quel point je détestais les cérémonies de récompenses ?).

Gardons à l'esprit la proposition telle qu'elle est, à savoir un mélange parfait entre film populaire et vraie proposition d'auteur, portée par une charge politique d'une ampleur, d'une résonance et d'un courage saisissant.

8,5/10


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