Le château de mon père

Il faudrait faire la liste des films qui retranscrivent à l'écran, d'une manière ou d'une autre, les sensations que peut procurer la lecture de "La Recherche" de Proust. Avec plus ou moins de liberté, comme le faisait Carlos Saura dans "La Cousine Angélique", en le transposant dans l'imaginaire espagnol, à cheval entre les années 70 et les années de guerre civile quarante ans auparavant. Ou comme le fait ici Bertrand Tavernier, plus classiquement, dans la des années 1910, au creux d'une famille bourgeoise et sous un angle intimiste.


Tavernier est peut-être un peu trop académique dans sa façon d'accorder le roman de Pierre Bost aux thématiques propres à celui de Marcel Proust, en lisant des ages du livre en voix off pour clarifier certains détails. Mais ce procédé convient assez bien au voile impressionniste qui enveloppe presque chaque scène, chaque décor, chaque déjeuner sur l'herbe ou à l'ombre d'une tonnelle — on pense inévitablement aux toiles d'Auguste Renoir. On pense aussi aux adaptations de Marcel Pagnol réalisées par Yves Robert, dans une moindre mesure, pour ce côté "pérégrinations familiales à la campagne" même si ces dernières étaient (ou seront, plutôt, vu que "La Gloire de mon père" et "Le Château de ma mère" datent de 1990) plus tournées vers les souvenirs de l'enfance, dans une classe plus populaire et dans un accent fort différent. Point de garrigue ici.


Touche par touche, Tavernier peint le tableau délicat d'une famille hétérogène, tout en retenue, tout en contrastes — parfois — nuancés. Un vieux peintre au crépuscule de sa vie, son fils sérieux et plutôt conservateur, sa fille (Sabine Azéma, à deux doigts d'en faire trop dans le registre de la tempête tourbillonnante) dynamique, indépendante et anti-conformiste, et ses petits-enfants. Un portrait de famille pudique qui évoque, de manière assez évasive, des souvenirs enfouis au fond de la mémoire du grand-père. À ma connaissance, jamais Bertrand Tavernier ne s'était aventuré aussi loin dans cette frange nostalgique du cinéma. Il ne s'était jamais fait aussi sensible dans cette façon détournée de dépeindre les sentiments et les états d'âme, lovés dans des instants hors du temps, entre épanouissement et mélancolie.


[Avis brut #91]

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le 19 mai 2016

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Morrinson

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