Ah, on l’attendait celui-là. Fort d’une communication habile, à grand renfort de parallèles établis avec l’indétrônable Heat au rang des films de braquage, Triple 9 semblait s’imposer comme le film d’action immanquable de ce début d’année. Raté. Et conseil maison : apportez votre oreiller si vous désirez malgré tout braver le mauvais temps pour vous rendre en salle obscure.
Un ratage qu’il est pourtant impossible de mettre sur l’unique dos d’une communication trop ambitieuse. Triple 9 n’est pas de ces films qui ratent le coche ; qui s’adressent finalement à une autre audience que celle initialement prévu. Le film souffre d’un problème de fond et de forme évident. Et ça, seul John Hillcoat en est responsable.
Pas que l’homme ait toujours connu le succès avec ses métrages. L’auteur du pourtant remarquable La Route avec Viggo Mortensen, fait habituellement dans le film moyen, qui peine à sortir du lot mais qui ne sont pas inintéressants pour autant. Porté uniquement par un casting alléchant, son Triple 9 se décrédibilise d’avoir seulement osé la comparaison avec Heat — pour ne citer que celui-là —.
Le code d’honneur des voleurs
Si la bande-annonce envoie du lourd, dites-vous bien que la quasi-totalité des images que vous voyez dans le trailer sont évacués dans le premier quart d’heure du film. Comme ça s’est fait. Si vous pensiez vous frotter à un film de braquage, qui transpirerait le faste des années 90, ne prenez même pas la peine de vous déplacer. Le curseur de John Hillcoat est ailleurs. Dans le « tous pourris », qu’il tente de façon bien maladroite de justifier grâce à des personnages sans relief (coucou Casey Affleck).
En clair, le contrat stipule que nous allons assister à un larcin de grande ampleur, que les malfrats pourront commettre en déclenchant le code 999 — signalement pour un agent de police tombé sous les balles —. Cette combine leur offrira du temps en envoyant l’intégralité des forces de police de la ville à l’opposé de leur direction. Ingénieux, et quelque part assez palpitant (sur le papier, toujours), surtout quand l’on sait que le groupe de voleurs est composé de flics et d’ex-membres des forces spéciales.
Il n’y a qu’à voir la tronche de l’affiche promotionnelle pour se rendre compte du problème. Triple 9 ne se repose que sur son casting, et sur le plaisir de retrouver des stars du petit écran dans un long-métrage. Mais Godzilla est é par là, et l’interprétation anecdotique de Bryan Cranston (Breaking Bad) dans le film de Gareth Edwards a déjà eu raison de notre hype naissante pour le procédé. Triple 9 ne disconvient pas à cette nouvelle donne, et offre à Norman Reedus (The Walking Dead), et Aaron Paul (Breaking Bad), des rôles intéressants mais sous-exploités. Notez que pour ce dernier, Hillcoat n’a pas dû brainstormer bien longtemps. Aaron Paul incarne un junkie tourmenté qui fréquente une prostituée accro à la dope. À ce compte-là, il aurait pu s’appeler Jessie Pinkman que ça n’aurait choqué personne.
Un pour tous, et tous pourris
S’il n’y avait que l’immense déception d’un casting trop ambitieux pour être bien exploité, le film s’en tirerait encore bien. Mais Triple 9 accumule les erreurs de style et les montages risibles, qui le font er pour un jeune promus d’une école de cinéma. Ainsi les bottes rouges d’une Kate Winslet se diluent-elle dans une marre de sang, laissant suggérer à quel point elle est mauvaise (et russe, accessoirement). Parce que bien sûr, le film revient aux fondamentaux : l’Amérique contre la faucille et le marteau.
Michael (Chewitel Ejiofor), l’éminence grise du groupe de malfrats, ne fait pas ça pour l’argent. L’homme à des principes. Mais il va devoir les oublier, histoire de récupérer la garde de son enfant, retenu par sa belle famille ruskoff. Il aurait été bien inspiré de ne pas mettre enceinte une poupée russe à la vertu aussi légère que sa robe, qui se révèle être la belle-soeur d’un oligarque russe qui fait trembler Poutine. En roue libre, le film bouffe à tous les râteliers. Instille une dose de politique à partir de rien, présente des personnages tête à claques et caricaturaux pour mieux s’enfoncer dans sa médiocrité. Et pourquoi pas, pour parfaire le tableau, prêter un accent des pays de l’est à la belle anglaise qu’est Kate Winslet. Ne nous refusons rien.
Sans parler du rythme soporifique dont jouit le film de John Hillcoat. Entre les séquences trop longues et une tension qui peine à s’installer, on dressera bien souvent un sourcil devant tant de difficulté à nous faire accrocher à un propos pourtant vieux comme le monde. Preuve s’il en fallait que l’exercice n’est pas à la portée de tous. Si vous recherchez une bonne scène de fusillade (ce qu’il n’y a pas dans Triple 9), regardez plutôt celle de l’épisode 4 de la saison 2 de True Detective, qui saura vous donner en 9 minutes ce qu’1h50 de Triple 9 ne sauront vous offrir.
Triple 9 est sans doute la première grosse déception cinématographique de l'année. La communication a mieux rempli son office que le réalisateur, qui n'a manifestement pas les épaules pour s'attaquer à ce genre de films. Si sa proposition du film de gangsters intimiste avec Des Hommes Sans Loi se révélait satisfaisante, c'est bien une mégalomanie tapageuse qui l'anime sur ce Triple 9 peu inspiré et soporifique. À éviter, ou à visionner pour accompagner une bonne sieste après un repas copieux.
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