Sur leur navire, Jean et Isabelle se sont créés leur propre monde. Ce couple de Français, flanqué de Damien, le fils d’Isabelle, a largué les amarres à Toulon pour un tour du monde sans fin - un rêve d’expatriés sans attaches, vivotant d’escale en escale.
Encalminés à Djibouti à la suite d’une avarie de moteur, ils rencontrent Mike - c’est « comme ça que tout le monde l’appelle », en tout cas. Somalien débrouillard et affable, il les a aidés à réparer le navire et les prie de l’emmener. Lui rêve d’Europe ou d’Amérique. Eux de mettre l’Occident loin derrière.
Pour son premier long-métrage (après une carrière d’assistant-réalisateur, chez Xavier Beauvois notamment), Guillaume Bonnier signe un thriller houleux et tendu comme un hauban. Au coeur du huis-clos nautique et exigu que constituent le pont et la cale d’un voilier, Guillaume Bonnier scrute la tension qui progressivement s’installe entre ses protagonistes. L’incompréhension qui mue en méfiance, la méfiance en peur, la peur en violence. Malgré toutes les bonnes intentions du monde, les deux trajectoires ne peuvent qu’entrer en collision : les deux Français (Daphné Patakia et Pierre Lottin), animés de ce désir si occidental de « s’évader » loin de chez soi, ne peuvent être compris de celui pour qui l’exil est question de survie (la révélation Abdirisak Mohamed, réfugié somalien qui fait ici ses premiers pas au cinéma).
« Tout le monde m’appelle Mike » évoque en écho, par ses thématiques, le thriller espagnol As Bestas (de Rodrigo Sorogoyen), sorti l’an dernier, et qui racontait déjà le choc de classe entre deux expatriés français écolo-néo-ruraux et la paysannerie miséreuse galicienne. Comme le couple formé par Marina Foïs et Denis Ménochet ne réalisait pas la violence symbolique qu’ils exerçaient sur les locaux, le duo Daphné Patakia-Pierre Lottin ne se rend pas compte de ce sentiment de supériorité occidental qu’il exhale face à Mike. Le long-métrage de Bonnier ajoute la dimension post-coloniale à la question de classe, la couleur de peau constituant, au corps défendant des protagonistes, une indicible et pernicieuse frontière. L’idée de double domination se retrouve matérialisée par le fait que les Français sont le plus souvent filmés sur le pont et Mike dans la cale, avant que cette hiérarchie spatiale ne se renverse.
L’isolement marin de « Tout le monde m’appelle Mike » joue le rôle des montagnes encaissées d’As Bestas, actant le dialogue impossible car enfermé physiquement dans le cadre. Le large est pour beaucoup dans la capacité du film à embarquer le regard. Tourné à Djibouti mais aussi en grande partie au large de la Guadeloupe, il nous fait au age soudainement réaliser à quel point le cinéma contemporain n’ose plus prendre la mer - les tournages nautiques, ces cauchemars de producteur. Guillaume Bonnier a pris ce risque. Tant mieux. C’est une des très bonnes surprises de cette année sur grand écran.