Thunderbolts*
6.5
Thunderbolts*

Film de Jake Schreier (2025)

Que des numéros 0 dans ma team

Le pari de Kevin Feige était risqué avec ce Thunderbolts. Alors que les projets centrés sur des personnages secondaires s’enchaînent et peinent à convaincre sur Disney+, le boss de Marvel Studios a l’idée étrange de réunir des seconds couteaux pour conclure la cinquième phase du MCU. Les Thunderbolts ont connu plusieurs itérations dans les comics, beaucoup sont constituées de personnages peu connus quand d’autres comptent Punisher, Deadpool et Elektra parmi leurs membres. Le choix des personnages a alors été beaucoup discuté, les théories privilégiaient Red Hulk ou le Baron Zemo mais deux mois après l’annonce du film, Feige surprend avec une équipe composée de personnages au mieux oubliés au pire peu appréciés. Autant dire que l’enthousiasme était au plus bas malgré la présence de ce cher Bucky Barnes. Pourtant, deux années et demi plus tard, Thunderbolts récolte à la surprise générale des premiers retours positifs non seulement de la part des fans mais également de la part des professionnels et cinéphiles qui ont lâché l’affaire depuis quelque temps. Retour alors sur les raisons d’un tel engouement qui fait du bien à l’univers et au fan que je suis, avec spoilers je préviens.


Il faut peu de temps avant de réaliser qu’il y a une âme derrière la caméra et pas un tâcheron chargé de dire oui aux demandes des producteurs sans tenter d’y mettre du sien. Yelena se trouve au bord du précipice et saute du deuxième immeuble le plus haut du monde. La symbolique de la tentative de suicide considérant tout ce qu’elle vient d’évoquer en voix-off e bien mais ce que je veux pointer du doigt est l’implication de l’équipe qui tourne cette cascade en décor réel et laisse une Florence Pugh dévouée effectuer elle-même la chute. Ceux ayant aperçu les behind the scenes savent que le tournage s’est effectué avec un pourcentage réduit de fonds verts et cette manière de faire change tout. On a une vraie impression d’authenticité qui manque de plus en plus et cela permet au réalisateur et son équipe d’affirmer leur direction artistique sans reposer sur la magie de la post-production. Malgré mon amour pour la saga, je dois ettre qu’il devient rare d’avoir des films qui semblent pensés comme du cinéma et Jake Schreier, réalisateur de certains épisodes de Kidding, vient balayer tous ces reproches en ayant envie de faire les choses bien. Il évite alors la surenchère d’effets visuels imparfaits et opte pour une mise en scène plus terre-à-terre et tout simplement mieux pensée. Entouré de Grace Yun, cheffe décoratrice de Hérédité et Past Lives, le réalisateur construit des décors inspirés. J’en veux pour preuve la pièce orange dans laquelle Bob se repose alors que Valentina l’a récupéré, la lumineuse ancienne tour des Avengers, le bunker anxiogène jouant sur un contraste entre des endroits sombres et des néons blancs accompagnés d’une lumière plus orangée ou les rues de New York pleine de figurants qui bénéficient d’une vraie profondeur grâce à l’absence de fonds verts. Disons que les environnements sont nettement plus agréables à regarder que les décors insipides du dernier Captain America. La photographie est également une grande gagnante dans l’histoire. Vous n’êtes pas sans savoir que les films du MCU subissent tous plus ou moins une photographie fade et grise qui enlève toute personnalité à l’ensemble (il existe évidemment des exceptions avec James Gunn ou Sam Raimi). Celle d’Andrew Droz Palermo, un nom à retenir puisqu’il a travaillé sur The Green Knight, se montre plus recherchée. L’image est certes grise mais beaucoup plus contrastée qu’à l’accoutumée, ce qui la rend rapidement plus jolie d’autant plus qu’elle laisse intervenir des couleurs qui ressortent vraiment comme le jaune ou l’orange. Il y a même de la réflexion dans l’éclairage lorsque Bob est à deux doigts de vriller et que son visage est à moitié ombragé.


Le film s’ouvre sur une mission musclée de Yelena et les premiers coups s’échangent avec un seul cut, autant dire que j’ai été étonné. Après les séquences d’action montées à la truelle de Brave New World (oui encore mais les deux films sont sur des points formels diamétralement opposés), Jake Schreier et ses monteurs laissent respirer les combats tout en gardant le dynamisme. Ne soyons pas mauvaise langue sur le MCU et n’oublions pas que quelques semaines plus tôt, Daredevil Born Again proposait des affrontements marquants. Thunderbolts prend alors irablement le relais en proposant des bagarres satisfaisantes voire jouissives. Les couloirs ont définitivement la côte dans le genre action puisque la première vraie scène de baston m’a fait grandement plaisir en étant filmée via un long top shot. J’adore ce procédé et j’adore la bagarre, quand les deux fusionnent je ne peux qu’être heureux. En utilisant les codes vidéoludiques, le dispositif permet dans ce contexte de montrer la faiblesse d’une armée en réduisant sa taille et ainsi montrer les capacités de Yelena qui ne flanche pas face à une dizaine de soldats. La deuxième séquence d’action importante intervient dans un bunker et, sur un principe de poule-renard-vipère, s’avère assez vibrante. Une partie des futurs Thunderbolts s’affrontent et le spectateur n’est jamais perdu grâce à la bonne gestion de la géographie. Le découpage comme les mouvements de caméra sont bien pensés et les chorégraphies utilisent les talents des personnages à bon escient. L’autre séquence sur laquelle j’aimerais revenir est celle qui met Sentry face à toute l’équipe. Dans son beau costume jaune et bleu, l’antagoniste montre qui est le patron en rétamant un à un les membres au fil d’un plan-séquence le mettant toujours au centre de l’image, ce qui lui permet d’envoyer ses adversaires hors champ pour montrer sa puissance. Il les met au sol et il contrôle en plus le cadre et les mouvements de la caméra.


Dans une intrigue qui reste relativement classique, le climax réussit à surprendre en laissant de côté les batailles spectaculaires pour un combat intimiste dans l’intériorité du méchant. La force de Thunderbolts réside probablement là, l’écriture explore la santé mentale des personnages en traitant de thématiques sérieuses telles que la solitude et la dépression. Réunir ces personnages était finalement assez cohérent, tous ont été manipulés ou n’ont jamais pu être eux-mêmes et ils vont se serrer les coudes pour remonter la pente. Yelena et son père ont été victimes de la Chambre Rouge, Bucky a été une arme sous l’identité du Soldat de l’Hiver, Ghost a été un cobaye du S.H.I.E.L.D. tandis que John Walker a dû endosser le rôle de Captain America en n’étant clairement pas préparé. Il en ressort alors une tonalité étonnamment mature qui ne ridiculise jamais les personnages malgré l’humour lourdingue de Red Guardian et qui s’affranchit des touches humoristiques désamorçant le drame pour laisser des dialogues touchants. Yelena et John tirent leur épingle du jeu. La première est sans aucun doute le personnage principal car le centre du film est tout autant si ce n’est moins la lutte contre les magouilles de Valentina que le combat de Yelena contre elle-même et ce duel s’avère émouvant à mesure qu’elle est aidée par son père, qu’elle échappe au traumatisme de la Chambre Rouge et qu’elle bat son alter ego qui noie son chagrin dans l’alcool. Le deuxième subit les conséquences du syndrome de l’imposteur après avoir été temporairement le nouveau Captain America. Il paraît plus complexe que les autres car sa position autoproclamée de leader le rend pathétique mais on découvre qu’il n’est plus lui-même depuis que les restes du rôle de symbole de l’Amérique le contraignent à prendre le contrôle et qu’il a été abandonné par sa famille. En raison de leur proximité, les membres de l’équipe ont une superbe alchimie et ces Thunderbolts se montrent bien plus attachants qu’annoncé. Le réalisateur aime les personnages qu’il filme et raconte quelque chose avec eux, ce que vous savez quel film avait oublié de faire.


A cette bande de losers s’ajoute le rat de laboratoire Bob, lui aussi en proie à une santé mentale défaillante. J’attendais beaucoup de Sentry car il est un personnage à la double personnalité complexe et ionnant dans les comics. J’appréhendais son adaptation après ce que Les Gardiens de la Galaxie 3 avait fait à Adam Warlock, autre héros à la puissance démesurée. Marvel a eu la bonne idée de faire appel à Paul Jenkins, créateur du personnage, pour superviser son écriture. Son origine diffère des comics mais son ADN et ce qui en fait son intérêt sont conservés. Ce respect fait du bien après le sort que le MCU a réservé à M.O.D.O.K., Hulk, sa cousine She-Hulk et dans une moindre mesure Gorr. Sentry et Void sont dans les comics traités comme un trouble dissociatif de la personnalité, ici la dualité prend plus la forme d’un combat contre ses démons intérieurs. Le climax et Void utilisent les pouvoirs de Sentry comme métaphore de la lutte contre une part d’ombre quand une personne est en pleine dépression. Jake Schreier doit être un des rares à avoir utilisé les pouvoirs d’un personnage comme symbole depuis que Sam Raimi l’a fait dans le premier Spider-Man et c’est un procédé d’écriture comme de mise en scène qui fonctionne parfaitement. Le film en fait comme dans les comics une âme facile à manipuler et modifie ses origines pour mieux l’intégrer à l’intrigue. Il constitue de plus une menace assez terrifiante tant il semble véritablement impossible de le défaire. Il aide en ce sens à amplifier l’héroïsme des Thunderbolts qui n’hésitent pas à tout tenter pour le vaincre.


L’évolution des personnages consiste principalement en la réparation des traumatismes à travers le rôle de sauveurs. Depuis que je suis tombé amoureux de Spider-Man dans l’enfance, la figure du super-héros me ionne au plus haut point. Voir ces mercenaires mal-aimés accéder au statut de héros m’a fait le plus grand bien. Le film fait souvent comprendre qu’aider les autres et endosser les costumes pour sauver le monde est un moteur pour le bien-être des personnages. Jake Schreier et son équipe ont compris tout ce que devait représenter le super-héros et son équipe de losers finit par être de crédibles New Avengers. Ils ont un vrai impact sur la ville, Marvel se reprend et arrête de placer les bagarres dans des endroits déserts, sans humanité apparente à sauver. Le studio renoue avec l’urbanité pour que les personnages apparaissent comme des héros aux yeux du monde. Dans cette idée, on les voit sauver des vies et la scène qui voit Bucky empêcher une voiture d’écraser une famille signifie beaucoup pour cette ancienne machine à tuer. Le parcours inspirant des Thunderbolts dans la diégèse a finalement une certaine portée métatextuelle. Ils sont au début enfermés dans un bunker à l’instar des personnages qui sont dans les fonds de tiroir de Marvel Studios. Au fil du film, ils vont devoir être acceptés des habitants du New York fictif et convaincre le public qu’ils ont leur place dans le MCU, mission qui me paraît accomplie.


Thunderbolts a donc créé la surprise en s’imposant comme le film Avengers de moindre ampleur qu’on attendait avant la bataille épique pour le multivers contre Dr Doom. Kevin Feige a fait confiance a des artistes de talent pour livrer un blockbuster étonnamment intimiste et d’une sincérité attachante. Le pari de laisser de côté l’action pour se concentrer sur l’intériorité des personnages et le segment politique de la saga a porté ses fruits, en espérant que Les 4 Fantastiques aient le droit à un traitement aussi respectueux. Après une phase 5 en dents de scie, Marvel Studios semble fin prêt à remonter la pente et la réception positive de ce projet que personne n’attendait est encourageante.

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2025 je regarde des films au lieu de guetter mon avenir

Créée

le 3 mai 2025

Critique lue 386 fois

2 j'aime

BestPanther

Écrit par

Critique lue 386 fois

2

D'autres avis sur Thunderbolts*

Les carottes sont cuites

Malgré ce rappel que même les anti-héros, dans leurs désordres, peuvent trouver un but, ce film n’en demeure pas moins une déception.Il semble que ce soit l’heure, à présent, des super-vilains. Un...

Par

le 6 mai 2025

31 j'aime

Thunderblues

Tous engagés par la directrice de la CIA Valentina Allegra de Fontaine pour couvrir certaines de ses opérations secrètes de son é, Yelena, Ghost, U.S.Agent et Taskmaster se retrouvent piégés dans...

Par

le 1 mai 2025

30 j'aime

3

What we do in the shadows

Thunderbolts*, c'était le projet Marvel le plus anodin, voire le plus opportuniste.Présenté comme un sous Suicide Squad, puis comme influencé par la boîte de prod' A24.Recyclant des figures de...

le 2 mai 2025

24 j'aime

Du même critique

Plus je me rapproche du sommet, plus j'entends le ciel qui gronde

Le 29ème film du MCU s'inscrit dans le prolongement du renouveau qu'a été Thor: Ragnarok pour le personnage éponyme. Taika Waititi revient après avoir convaincu une grande partie des fans ainsi que...

le 4 août 2022

30 j'aime

13

La planète meurt mais personne voit

Du haut de ses 7,8 de moyenne pour 100 000 notes sur Sens Critique, Interstellar de Christopher Nolan s'est imposé comme un des plus grands films de science-fiction/voyage dans l'espace de la...

le 29 août 2020

30 j'aime

4

Populace manipulée, au profit de qui ? Ce n'est pas stipulé

Bon je préviens tout de suite, ce film est une dinguerie, c'est incroyable, je suis resté bouche bée, j'ai pas arrêté de me répéter que c'était trop bien. Premier film que je vois avec Jim Carrey en...

le 17 mars 2020

27 j'aime

14