Alors que bien des séquences de The Wonder éblouissent par le travail sur la photographie et l’immersion dans l’Irlande du XIXème siècle, partagée entre le clair-obscur d’intérieurs picturaux et les teintes vives de la lande sauvage, c’est par une prise de vue incongrue que s’ouvre le film. L’image éclairée aux néons d’un plateau de tournage ouvre un plan-séquence qui va progressivement s’orienter vers le décor et la temporalité du récit. Le hors-champ révélé est souligné par une voix off qui nous accompagne dans le film, et présente des personnages qui « croient désespérément à leur histoire ». : nous voilà avertis, sur le contrat é avec la convention narrative, qu’il semblait nécessaire de briser au préalable.
Cet appel à la prudence n’en accroît pas moins la force d’attraction de l’immersion dans le récit, et annonce évidemment sa thématique principale, qui interroge le rapport à la foi et la croyance dans un récit en abyme : celui d’un possible miracle qui permettrait à une enfant de 11 ans de survivre sans s’être nourrie depuis plusieurs mois. Lib, infirmière venue d’Angleterre, est chargée d’une observation médicale du phénomène, et vient confronter son approche rationnelle à une foi locale à couper au couteau.
Le mécanisme de l’enquête fonctionne assez habilement, et permet aux personnages de déployer une galerie de portraits placés dans un contexte étouffant, celui d’une tradition et d’une mentalité qui a laissé s’inf dans une misère accablante les espérances illuminées du fanatisme. La jeune fille devient le centre d’une attention malsaine, sa chambre un lieu de pèlerinage, tandis qu’un conseil des sages décide de la communication à son sujet. Le lien que Lib crée avec l’enfant s’enrichit progressivement d’une étrange ambivalence : si l’infirmière traque les signes de fraude, elle le fait aussi par la construction d’une relation de confiance où se réveillent sa solitude et son désir brisé de maternité.
Le premier niveau de révélations sur l’affaire prolonge de manière corrosive cette réflexion sur le besoin de croyance des populations les plus fragiles, en ajoutant à la misère la question de l’inceste et la manière dont la réécriture de l’horreur fonctionne à plein régime lorsqu’il s’agit de se voiler la face. Mais ce n’est là qu’un premier palier vers une évolution plus instable encore du récit. La présence magnétique de Florence Pugh semble inspirer les cinéastes, qui trouvent dans son jeu physique et l’impact de sa présence (voir, ici, les nombreux plans où on la voit manger) un contrepoint idéal à la déliquescence du réel : après _Midsommar **_et **Don’t worry darling, The Wonder invite lui aussi à faire vaciller les évidences. Quelques indices disséminés dans la première partie du récit ouvrent des voies au fantasme : l’onanisme interrompu auquel succédera la conquête très rapide du journaliste, la prise de drogue lors de rituels funéraires et la manière dont les événements glissent vers une résolution de toutes les béances intimes de la protagoniste. L’improbable résolution du récit et la nouvelle identité offerte à l’enfant ont tout d’un nouveau miracle qui pourrait n’exister que dans l’imaginaire d’une femme qui souhaite une seconde chance en tant qu’épouse et mère. Le retour de la narratrice, au milieu et à la fin du récit, rappelle ce hors champ du crédible, matérialisé par la rotation du thaumatrope qui maintient les barreaux de la cage autour d’un oiseau qui semblait pourtant libre. À nous de choisir ce qui pourra nous satisfaire : la réflexion sur le déni d’une réalité, ou l’histoire fantasmée, encadrée dans un récit dont on avait accepté les lois narratives, en accompagnant avec empathie une scientifique qui se laisse aller à sa propre foi pour se guérir du réel. Ce qui, sur bien des points, renvoie à la quête du spectateur.