Lors de la découverte de The Whale, il y a environ 18 mois, j'avoue avoir été décontenancée par le propos, par le huis-clos et par l'atmosphère du métrage tout en restant néanmoins subjuguée par l'imparable casting et la superbe réalisation de Darren Aronofsky. Les adjectifs "bouleversant", "puissant", "magistral", notifiés en lettres capitales sur la couverture du Blu-ray m'avait également laissée songeuse quant à la véracité de la chose. Pourtant, là, en achevant de visionner l'intégralité de la filmographie du cinéaste américain dans son ordre chronologique, j'ai radicalement compris que mon premier jugement envers The Whale était loin d'être constructif. Mais comme je ne suis pas du genre à avoir créé plus d'une centaine de comptes sur SensCritique pour auto-glorifier mes propos et m'auto-liker (si vous cherchez, vous trouverez très rapidement de qui je parle), il va de soi qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis et que visionner un film à plusieurs reprises permet, parfois, de mieux assimiler son propos.
The Whale, à l'origine une pièce de théâtre dont Aronofsky est tombé follement amoureux, possède, quelque part, de grandes similitudes avec Elephant Man, réalisé en 1980 par David Lynch. Le personnage central prénommé Charlie, intelligent et doté d'un sacré humanisme à l'instar de John Merrick, reste un être ultra dépressif de par son parcours.
Précédemment marié à Marie (excellente Samantha Morton, inoubliable en Debbie Curtis dans le non moins excellent Control d'Anton Corbijn) et père d'Ellie (stupéfiante Sadie Sink), Charlie a un jour quitté sa famille pour vivre une histoire d'amour homosexuelle avec Alan, un fils de pasteur, qui se suicidera tragiquement par simple honte envers son attirance pour les hommes. Désespéré, dépressif, boulimique et rongé par ses vices, Charlie s'autodétruit sous le regard consterné mais néanmoins compréhensif de Liz (Hong Chau), sœur d'Alan qui le soutient quotidiennement. De là, apparaissent brusquement Thomas (Ty Simpkins), un jeune missionnaire, ainsi qu'Ellie, devenue une adolescente immensément en colère de par l'absence de son père…
Il aura fallu 10 ans à Aronofsky pour réaliser The Whale, cherchant désespérément le comédien idéal pour incarner Charlie, cet être pachydermique à l'orée de sa propre mort et métamorphosé ainsi par sa dépression. Et c'est en tombant complètement par hasard sur la bande-annonce de Voyage Jusqu'Au Bout De La Nuit, réalisé par Eric Eason en 2006, qu'Aronofsky déniche l'acteur idéal pour le rôle : Brendan Fraser. Un choix qui s'avère judicieux puisque le comédien, un temps oublié, remportera l'Oscar du meilleur acteur pour ce rôle particulièrement disgracieux, du moins physiquement parlant. Et l'ombre d'Elephant Man se précise d'autant plus de par la puissance de jeu du comédien.
En jouant presque immédiatement avec le jugement des spectateurs, Aronofsky ne s'embarrasse d'aucune crainte en montrant très rapidement son repoussant personnage principal se masturber en visionnant un porno gay. En fait, il est même extrêmement rare de voir de telles scènes au sein du cinéma américain du XXIe siècle. Essentiellement produit puis distribué par A24, société indépendante au succès commercial considérable (Midsommar ou encore The Lighthouse, c'est elle), The Whale se voit doté d'un budget de 10 millions $ et en rapportera 5 fois plus à travers le monde.
Malgré cela, le film dérange la plupart des spectateurs, peu enclin à s'immiscer durant deux heures dans l'univers de ce drôle de personnage souffrant, littéralement, du syndrome d'hyperphagie incontrôlée. Face à cette complexe maladie, liée à l'état dépressif, il faut avouer qu'il est difficilement able de prendre un certain plaisir cinéphile face à ce triste spectacle. Mais en le visionnant une nouvelle fois, peut-être aussi dans un état d'esprit plus probant, il est plus qu'évident que The Whale est un grand film. Remarquablement mis en scène (ça reste une habitude chez Aronofsky), brillamment interprété et somptueusement élaboré par l'équipe technique quasi habituelle du cinéaste, The Whale distille en sus quelques visions horrifiques et certains moments déchirants pour bouleverser les certitudes de son public, dont je fais désormais indéniablement partie.